Le contenu de la vidéo se divise en deux grandes parties : premièrement, la construction du portefeuille boursier anti-fragile ; deuxièmement, l'actualité notamment monétaire du Japon, en essayant de comprendre comment la situation pourrait évoluer. Jean-François Revel (1924-2006) disait : "L’intellectuel dispose de deux recettes, pour rester considéré de toutes les majorités et perdurer à travers toutes les alternances. L’une est de ne se tromper jamais. C’était la formule de Raymond Aron. L’autre est de se tromper toujours. C’est celle d’Alain Minc".

Ce que Gave donne, ce sont des idées. Il n'est pas officiellement habilité pour donner des conseils en bourse sur la chaîne Youtube de l'Institut des Libertés (IDL). Pour rappel, les valeurs sont : Accor, Air Liquide, Schneider, LVMH, L'Oréal, Pernod Ricard, Capgemini, Sodexo, TotalEnergies et Danone. Ces dix valeurs figurent dans le portefeuille de Gave depuis 2018. Tous les mois, il y a des ajustements à faire. Ces dix valeurs sont également anti-fragiles car elles n'ont rien à voir avec le gouvernement. La première idée en bourse est celle du succès capitaliste.

En effet, le système capitaliste est dur, donc il faut privilégier les lutteurs professionnels. Par exemple, la réussite de Pernod Ricard est telle que, quand les consommateurs achètent une bouteille de pastis, la référence à la marque et la force de l'habitude font partie des usages naturels. Le but de l'IDL est de faire en sorte que, grâce aux idées proposées, les épargnants français puissent devenir indépendants de l'État. Fiodor Dostoïevski (1821-1881) disait : "L'argent, c'est la liberté monnayée". Il est en effet plus facile de penser librement quand on est indépendant financièrement.

Un banquier vous aurait dit : il faut mettre une partie de l'argent en défensif, une autre partie en offensif, avec 50 % en actions françaises et 50 % en obligations françaises. Résultat : avec les obligations vous seriez à 100 en janvier 2020, quatre ans plus tard vous seriez à 102, le taux d'inflation passant, entre temps, de 100 à 113, d'où, en gros, une perte de 10 % du capital en termes de pouvoir d'achat. C'est le schéma du portefeuille banal. Avec un portefeuille anti-fragile, vous passeriez de 100 à 139. Compte tenu de l'inflation, vous monteriez donc d'un quart en termes de pouvoir d'achat.

L'idée est aussi de limiter les risques, c'est pourquoi il ne faut pas avoir que des actions. Pour gagner en limitant les risques, il faut connaître et appliquer certaines manœuvres. Le problème est que, depuis 2020, les obligations françaises ont baissé de 25 %. Il s'agit de les remplacer par des obligations chinoises (à 66 % des 50 % restants de votre portefeuille) et par de l'or (à 34 % de ces mêmes 50 % restants de votre portefeuille). Une précision : quand Gave parle d'obligations sans plus de précision, ce sont toujours des obligations d'État.

Pour le cas où votre portefeuille n'aurait pas d'obligations chinoises (car il est difficile d'y accéder), à ce moment-là Gave vous recommanderait d'avoir plus d'actions et moins d'or. En tout cas, cette méthode montre que c'est avec les obligations françaises que l'on est perdant. Ce point sur la partie défensive (les obligations chinoises et l'or) étant fait, revenons-en à la partie offensive ou agressive (les actions). Le premier critère de sélection est, encore une fois, de n'avoir aucun rapport avec le gouvernement.

Le deuxième critère est le suivant : si, avec les actions d'une entreprise, vous passez de 100 à 150, vous prenez 50 et vous les mettez dans les actions d'une entreprise qui, au sein de votre portefeuille, sont par exemple à 80. Le point de départ est un échantillon du capitalisme français, avec une rentabilité qui se situe entre 7 % et 8 % par an sur le long terme. Par conséquent, toutes les entreprises concernées vont revenir vers une moyenne à des moments différents. L'hypothèse la moindre probable, en effet, est celle d'une sous-performance ou d'une surperformance dans la durée.

Cette approche implique de penser un groupe d'actions, avec pour résultat de l'ajustement systématique le fait de gagner, par exemple, 6 points. Elle demande aussi de faire assez de place à la méthode par rapport à l'instinct. L'effort du travail consiste d'abord à se demander si la partie dite défensive du portefeuille l'est réellement. Dans la partie offensive, le premier critère demeure d'écarter l'État, le deuxième de procéder aux ajustements indiqués. Cette méthode systématique est, au bout du compte, plus payante que de laisser les deniers enterrés.

Le danger et le risque, en l'occurrence, tiennent à l'éventualité de la chute, voire de la faillite, d'une des dix entreprises citées. Mais pour quelle raison ? Ces entreprises, de plus, vendent dans le monde entier, ce qui répond à la question portant sur les valeurs internationales : elles sont toutes des valeurs internationales. Par ailleurs, il importe peu que ces valeurs soient en euros (au vu des menaces qui pèsent sur l'avenir de l'euro), justement parce que ce sont, encore une fois, des valeurs internationales.

Cela signifie que la valeur des actions est ici intrinsèque, sans rapport direct avec la France ni avec l'euro. Le défi était, à la base, de construire un portefeuille français, avec des valeurs françaises, tout en ayant une certaine indépendance vis-à-vis de la France. C'est tout l'intérêt du capitalisme. En comparaison, les Italiens ont moins d'opportunités de s'en sortir que les Français, car ils n'ont pas dix entreprises comme les nôtres. L'explication de ce phénomène est liée au fait que la plupart des entreprises se battent contre leurs concurrents, alors que les grandes entreprises capitalistes françaises se battent aussi contre l'État : elles sont surentraînées, avec un grand respect pour leurs actionnaires.

Depuis la rentrée de septembre 2023, tout se passe comme si plus personne ne gagnait d'argent sur les marchés financiers. Une période semble se terminer : celle des dépenses étatiques, de la croissance monétaire et de la manipulation des taux (de change et d'intérêt), mais la Banque centrale européenne (BCE) n'est pas au courant. C'est parce qu'il faut distinguer deux catégories de protagonistes : ceux qui pensent être au commande (la BCE), d'une part, et les véritables acteurs des marchés (les entreprises), d'autre part. Ce qui manque, c'est une confiance suffisante pour lancer de nouvelles tendances ou pour suivre de nouvelles tendances.

Cette réflexion, qui conclut la première partie de la vidéo, amène la deuxième partie : c'est peut-être du Japon que viendra le choc auquel on ne s'attend pas spécialement. Le problème, c'est le yen. Son niveau de sous-évaluation, en fin d'année 2023, dépasse l'entendement. Par ailleurs, la parité des pouvoirs d'achat est une notion relativement simple en économie. Si les marchés sont assez libres, les prix vont être les mêmes dans deux pays comparés. Cet alignement fait partie des mécanismes de régulation propres aux marchés dans le monde.

On revient donc toujours à la ligne de parité des pouvoirs d'achat, même au bout d'un certain temps. Fin 2023, le yen est à 67 % sous-évalué par rapport au dollar. L'Allemagne a une production industrielle et une économie comparables à celles du Japon. Pourtant, une Lexus est à la moitié du prix d'une Mercedes, d'où un avantage comparatif pour le Japon. Le problème cité vient, comme toujours pourrait-on dire, d'une erreur commise par la banque centrale du Japon, à savoir ici : mettre les taux d'intérêt à zéro sur les bons du Trésor à trois mois (correspondant à l'épargne au jour le jour), et sur les obligations à dix ans.

Cette manipulation équivaut au refus de donner la moindre rentabilité au capital, ce qui est censé inciter à la consommation (même si ce raisonnement et aberrant, et contredit par les faits). Si les consommateurs n'ont pas confiance dans leur économie, ils continuent à thésauriser. Que fait alors la ménagère japonaise qui s'intéresse à la bourse ? Elle est tentée de se tourner vers les obligations américaines  et européennes : les yens sortent du Japon, les taux de change s'écroulent. La banque centrale du Japon a, de son côté, 1000 milliards de dollars de réserves de change. Résultat : les profits au Japon explosent, et ceux en Allemagne vont s'effondrer.

De plus, les entreprises japonaises sont surcapitalisées. Elles ont 4000 milliards de dollars en cash, et ne savent pas quoi en faire. Acheter une entreprise japonaise, c'est acheter du cash, en plus d'un appareil de production. Un an et demi auparavant, Gave recommandait d'acheter des actions japonaises, car c'était la hausse la plus forte en monnaie locale. Les Européens ont acheté des entreprises japonaises, mais avec une action montée de 25 %, et des taux de change baissés de 20 %. Ce n'est pas tenable. Les grandes dépressions peuvent venir d'une grande monnaie sous-évaluée.

Prenons les années 1930 aux États-Unis. Theodore Roosevelt Jr. (1887-1944) n'était pas très compétent en économie. Les États-Unis ont un excédent massif des comptes courants à l'époque. Ils sont en excédent extérieur et décident de dévaluer le dollar de 20 % contre l'or. De ce fait, les autres pays qui, comme l'Allemagne, n'étaient déjà pas compétitifs contre les États-Unis, dévaluent de 25 %. C'est ce qui explique, indirectement, l'ascension d'Adolf Hitler (1889-1945). Ce type de situation est le résultat des crises déflationnistes de l'indexation sur l'or en amont.

Le traité de Versailles suivait la même logique, en exigeant de l'or comme paiement. Mais le franc français était terriblement sous-évalué sous Raymond Poincaré (1860-1934). Les Allemands ne pouvaient donc pas gagner l'or dont ils avaient besoin pour payer nos réparations, ce qui entraîna, comme dit à l'instant, la pauvreté en Allemagne ayant favorisé le succès politique d'Hitler. En 2023, le Japon a un excédent de ses comptes courants, soit une balance commerciale à 4 % ou à 5 % du PIB, ce qui est énorme, avec en plus une monnaie sous-évaluée de 60 %.

Pourquoi Gave pense-t-il aux conséquences pour l'Allemagne ? Parce qu'il ne voit pas comment l'Allemagne peut faire concurrence au Japon, avec : l'euro, qui n'est pas une bonne idée ; la masse salariale, qui reste allemande ; l'énergie, qui coûte cher. Il faudrait que le yen double en taux de change par rapport au dollar, pour ramener l'équilibre. D'habitude, il suffit d'une hausse de 10 % ou de 20 %. Le Japon, en outre, propose en industrie tout ce que l'Allemagne propose. Cette dernière n'a donc pratiquement aucun avantage comparatif par rapport au Japon.

Les meilleurs robots du monde sont japonais. D'une part, soit les Allemands ne font plus les meilleures voitures à essence du monde, soit on leur impose de faire des voitures électriques, donc il faut fermer des usines, ce qui est un coup dur. D'autre part, les Allemands avaient de l'énergie bon marché grâce à la Russie, mais maintenant on leur dit que c'est fini, d'autant plus qu'en Europe, le gaz naturel coûte six fois plus cher qu'aux États-Unis. Les marges des entreprises allemandes vont, ainsi, être décimées par les entreprises japonaises.

En France, on n'a déjà plus d'industrie, ce en partie à cause de l'euro. Paradoxalement, il en ressort que l'Allemagne est plus affectée que nous par la concurrence japonaise, car l'Allemagne, contrairement à nous, se trouve toujours dans un monde concurrentiel. Les industriels allemands en sont évidemment conscients, mais leurs institutions ne les écoutent pas. Et même si c'était le cas, ce ne serait pas suffisant pour agir sur le Japon en lui-même. Prenons le won coréen, qui est très sous-coté par rapport au dollar américain : il est quand même surcoté de deux écarts-types vis-à-vis du yen. Cette situation arrange les Coréens par rapport aux États-Unis, mais c'est le contraire par rapport au Japon. La Chine se retrouve, elle aussi, dans le même embarras face à ce dernier, sauf que la Chine, contrairement à l'Allemagne, reste compétitive (chimie fine, médicaments, porcelaine, machines-outils, voitures).

Que va-t-il se passer dans ce cas ? Hypothétiquement, on peut penser que, la Chine ayant 2000 milliards de dollars de réserves, elle va acheter des yens et vendre des dollars pour faire monter le yen, en remplaçant des dollars qui ne valent rien par des yens qui valent beaucoup. Ce serait une énorme décision politique. La Chine y est-elle prête ? Elle y a en tout cas intérêt, car il en va de sa responsabilité, du fait que la Chine est au cœur des mécanismes de stabilité monétaire en Asie. En cas de continuation du conflit en Israël et d'un soutien des Américains envers Israël, la Chine pourrait aussi se désengager du dollar. Dans tous les cas, vendre des dollars et acheter des yens serait un investissement avisé, qui plus est susceptible, à terme, d'arranger tout le monde (y compris les Japonais).

Actuellement, non seulement le Japon prend les ventes des autres à l'extérieur, mais en plus il n'achète plus rien au reste du monde. Tout le monde parle de l'inflation, du dollar, des taux de change, du prix du pétrole, mais c'est le yen que Gave regarde avec le plus d'inquiétude. En 1934, c'était la dévaluation du dollar contre l'or. En 1997-1998, c'était la grande crise asiatique car, en 1994, Deng Xiaoping (1904-1997) avait décidé de dévaluer le yuan de 35 %, d'où une compétitivité chinoise qui faisait sauter tous les systèmes industriels asiatiques.

Quand on voit une monnaie importante devenir sous-évaluée, il faut toujours se demander qui va en subir les conséquences. Les lois de la rationalité sont défiées par le fait qu'une banque centrale, à un moment donné, a décidé de ne pas rémunérer les épargnants. Consécutivement, les départs à l'étranger ont un effet sur le cours de change, d'où une sous-évaluation monétaire. Dans le cas présent, pour les raisons données plus haut, la victime la plus évidente est l'Allemagne. La Suède, par exemple, a vu venir le coup et imité le Japon (ce que l'Allemagne ne peut pas faire à l'euro).

La France, en réaction, aurait le droit de réserver de 30 % à 50 % de ses marchés étatiques, et d'obliger les consommateurs à acheter français via des mesures protectionnistes. Le problème est que, limitées aux entreprises françaises, de telles mesures entraîneraient un certain nombre de pénuries de produits, comme par exemple les semi-conducteurs, qui sont à la base de toute l'industrie mondiale, et qui sont faits à Taïwan avec des brevets américains. Il nous faudrait douze ans pour recréer des entreprises qui, en France, feraient des semi-conducteurs.

On peut produire du coton en France, mais il coûtera 40 % plus cher que le coton chinois ou japonais. Avant d'envisager de mettre en place des mesures protectionnistes, il est donc nécessaire d'évaluer leur coût, y compris à court terme, auprès du consommateur final. Le contrôle des changes strict qui avait été mis en place par Pierre Mauroy (1928-2013) avait entraîné, il faut s'en souvenir, un effondrement de notre balance commerciale au bout de trois ans. En pratique, nous vivons dans un monde où plus personne n'est indépendant. Les pièces de n'importe quel appareil Apple viennent de vingt-trois pays différents. Avec nos capacités de production actuelles, on peut fabriquer, en France, des coques en plastique.

Sur les marchés, on ne pense pas assez au problème du yen. Les acteurs sont trop concentrés sur les taux d'intérêt aux États-Unis, ou sur l'idée que la Chine va, soi disant, tomber d'un jour à l'autre. Si les taux d'intérêt montent aux États-Unis, personne n'est surpris. Tout le monde a pris ses dispositions pour se protéger. Mais imaginons que le yen remonte violemment. Que va-t-il se passer ? Les Japonais vont commencer à perdre sur les obligations étrangères et vont vouloir vendre, avec un impact simultané sur le dollar et sur l'euro. Personne n'est protégé.

La monnaie des Japonais serait censée baisser alors qu'ils ont des comptes courants excédentaires de 4 % ou 5 % du PIB, avec des sorties de capitaux, par conséquent, à 4 % ou à 5 % du PIB. Comme le PIB japonais doit être à la moitié de celui des États-Unis, c'est-à-dire 13000 milliards, on arrive facilement à 400 ou 500 milliards de positions short. S'il faut les couvrir en panique, personne n'a les liquidités requises, surtout si les Japonais vendent leurs obligations australiennes, leurs obligations françaises, etc. En liquidant des positions pour se sauver eux-mêmes, ils peuvent mettre tout le monde en difficulté, comme un feu de forêt. La bonne nouvelle est que, pour les détenteurs d'un portefeuille anti-fragile tel que celui présenté au début, même une telle crise serait gérable.