Avec sa fille Emmanuelle Gave, Charles Gave reprend des notions économiques de base à travers ses réponses à une série de questions, plus ou moins complexes, posées par des auditeurs et auditrices. Première question : en quoi la montée des taux d'intérêt fait-elle baisser la valeur des actifs, la valeur d'un actif étant la somme actualisée de ses profits futurs, et la montée des taux fait-elle baisser les profits ? Pour répondre à cette question, Gave commence par raisonner à partir des taux d'intérêt à 0. Dans ce cas, un euro aujourd'hui a la même valeur qu'un euro dans dix ans. Par contre, si les taux d'intérêt sont bloqués à 7, on peut investir 50 centimes aujourd'hui en les plaçant à 7, de façon à recevoir 1 euro dans dix ans. Les taux d'intérêt servent donc à mesurer le risque pris dans le temps. C'est pourquoi les taux d'intérêt à 0 ou négatifs sont aberrants, supposant qu'il n'y a aucun risque à mesurer. Plus les taux d'intérêt sont élevés, moindre sera la valeur d'un euro dans dix, vingt ou trente ans. En cas d'achat d'un actif qui donne un euro par an pendant dix ans, en escomptant la valeur de cet euro par an pendant dix ans avec des taux d'intérêt à 10 %, la valeur va être plus basse au bout du compte. Les profits d'une entreprise peuvent ainsi monter, mais la valeur de ces profits va baisser, d'où l'importance de faire une distinction entre les profits et la valeur actualisée des profits. Des taux d'intérêt élevés ne font pas automatiquement baisser les profits, mais ils font baisser la valeur actualisée des profits. Quand les taux d'intérêt montent, le marché des actions a tendance à chuter, parce qu'une forte hausse des profits n'est pas attendue : on ajuste la valeur actualisée des profits aux taux d'intérêt.
Deuxième question : en quoi l'inflation en France ferait-elle baisser la dette du pays ? Pour trouver une façon simple de répondre à cette question, Gave rappelle que les impôts suivent le PIB nominal : mettons que le gouvernement français prenne 40 % d'impôts sur la richesse créée en France ; si le PIB est à 100, il prend 40 ; si le PIB est à 200, il prend 80, mais le remboursement de la dette, lui, se fait toujours à 100. Si le PIB passe de 100 à 200 et que la dette reste à 100, avec les 80 perçus l'État peut payer plus facilement sa dette qu'avec 40. L'inflation permet ainsi de rembourser en monnaie de singe. On appelait Philippe le Bel (1268-1314) le roi faux-monnayeur : en son temps l'emprunt se faisait en livres, et les livres avaient une masse d'or, qui se mesurait en grammes. En faisant baisser cette masse, le roi faisait baisser la valeur des pièces d'or et, par conséquent, remboursait ses dettes avec de moins en moins d'or. Il s'agit d'emprunter dans une monnaie et de faire en sorte que la valeur de cette monnaie baisse, de façon à rembourser moins. Il faut donc comprendre que, à la base, l'inflation n'est pas la hausse des prix mais la baisse de la valeur de la monnaie. L'inflation se définit d'abord comme une hausse de la quantité de monnaie qui, par déviation, cause la hausse des prix.
Troisième question : quel est le lien entre les taux directeurs et les taux destinés aux entreprises et aux ménages ? Le but de la question est de comprendre pourquoi la hausse des taux directeurs a un impact sur les autres taux. Du fait que les banques commerciales créent la monnaie, elles ne l'empruntent pas. Imaginons qu'une banque commerciale puisse emprunter à la banque centrale si elle est en difficulté de trésorerie. Si la BNP a besoin d'argent, elle va voir la Banque de France (parce que la BNP a, par exemple, prêté trop d'argent et qu'il y a une crise de liquidité ; c'était le cas de Lehman Brothers en 2008). Le taux directeur, c'est le taux auquel les banques commerciales empruntent, et personne ne peut emprunter moins cher. Il n'est pas possible d'avoir un taux de marché inférieur au taux directeur car, le taux directeur étant un message envoyé pour dire que le temps va coûter plus cher, c'est lui qui incite à augmenter les prix. Selon Milton Friedman (1912-2006), il n'y a pas de raison qu'une banque centrale existe, ni que le taux directeur existe : on pourrait tout à fait concevoir que la référence soit un taux de marché et que les banques commerciales effectuent des prêts entre elles.
Quatrième question : comment expliquer le mécanisme de déflation par la dette d'Irving Fisher (1867-1947), professeur de Friedman, auteur de The Debt-Deflation Theory of Great Depressions, et comment ce mécanisme influence-t-il les décisions d'investissement dans les obligations d'État ? Qui rembourse les dettes quand tout est à l'arrêt ? Quand il y a un essor, les gens empruntent pour acheter. C'est ce qui se passe en 2023 avec l'immobilier à Paris, d'où la forte augmentation d'une dette convertie en valeur immobilière qui monte. Prenons le cas d'un achat immobilier à dix ans qui monte de 50 % : c'est un enrichissement par la hausse de l'immobilier comparée à la dette ; mais, si l'immobilier se met à baisser fortement avec un emprunt à 100, un immobilier qui tombe à 50 et une dette toujours à 100, le plus dur, alors, n'est pas de payer les intérêts mais de rembourser le principal, entraînant un phénomène d'écroulement de la vitesse de circulation de la monnaie, puisque tout le monde se met à épargner afin de pouvoir rembourser. D'où l'équation de Fisher : MV = PT, "qui relie la quantité de monnaie M, sa rotation dite vitesse de circulation V au volume des transactions T et au niveau général des prix P", entraînant un écroulement du PIB nominal, soit une dépression. Quand le pays n'est pas trop endetté, le seul actif qui monte alors est une obligation d'État, laquelle est et se maintient à 100 comme dit plus haut, devenant le placement-refuge. C'est ce que résume le dicton : "Qui paie ses dettes s'enrichit".
Cinquième question : qu'est-ce qu'un credit crunch au niveau bancaire ? Cette question s'inspire de la crise de 2008, avec l'impossibilité de financer les habitations, la baisse de l'immobilier ainsi que le risque encouru par les banques si les épargnants investissent dans des obligations. Les banques sont comme un réseau neuronal. Elles sont toutes reliées les unes aux autres et se prêtent de l'argent. Quand une banque saute comme Lehman Brothers en 2008, cela entraîne une réaction en chaîne auprès d'autres banques, les banques créditrices arrêtant tout d'un coup de prêter de l'argent aux banques débitrices. Si, dans le même temps, Singapour, ayant besoin de matières premières agricoles australiennes, paie les Australiens avec des dollars US et que les banques américaines, en crise, refusent pendant six semaines d'en prêter aux banques extérieures aux États-Unis, Singapour se retrouve en situation de blocage. C'est ce qui s'est passé en 2008, et la Chine, entre autres, a été elle aussi confrontée au problème. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles la Chine, ne voulant plus revivre ce phénomène, cherche, non pas à détrôner les États-Unis en instaurant une nouvelle monnaie-monde à la place du dollar US, mais simplement à pouvoir continuer ses propres affaires de manière autonome. Les Australiens eux aussi se sont rendu compte de l'inconvénient de posséder des comptes en dollars US dans une banque américaine, sachant que cette dernière peut décider, du jour au lendemain, de bloquer les comptes. D'où l'importance prise par les BRICS dans l'économie mondiale depuis lors. En 2023, on commence à voir le début des solutions de la crise de 2008, car on ne change pas un système monétaire en cinq minutes. Mais l'Europe, avec l'inflation, peut rester perdante encore longtemps, car Vladimir Poutine continue à faire en sorte que le prix du pétrole monte.
Sixième question : pourquoi une monnaie déflationniste est-elle un problème (et que penser du Bitcoin ou de l'étalon-or) ? Une monnaie déflationniste est un problème pour une raison simple, déjà expliquée plus haut : elle rend plus difficile le remboursement d'un prêt, voire provoque la ruine des emprunteurs, et ne profite donc qu'aux rentiers (sauf rentabilité phénoménale). La partie de la question concernant l'étalon-or est davantage d'ordre historique. Quand Gave avait un jour posé la même question à Friedman, ce dernier lui avait répondu qu'il n'avait rien contre l'étalon-or, mais qu'il était possible de faire mieux. Si les banques centrales ne cherchaient pas à s'aligner les unes sur les autres, mais géraient les monnaies de façon compétitive, en fonction de l'exportation et des intérêts de l'industrie, il n'y aurait pas, comme c'est malheureusement le cas, de cartel technocratique de blocage des taux de change et des taux d'intérêt. L'avantage du Bitcoin et de l'or est de discipliner les banques centrales.
Septième question : comment un pays peut-il faire faillite, et quelles en seraient les conséquences visibles et invisibles ? Peut-on reparler, à cet effet, de la Suède de 1992 ? Techniquement, un pays ne peut pas faire faillite. Dans le cadre d'une affaire privée, il peut y avoir une faillite commerciale entraînant une saisie des biens (si l'entrepreneur a, pour vivre au-dessus de ses moyens, emprunté de l'argent sans le rembourser). On ne traite pas un pays comme on a traité Lehman Brothers. Dans le cas contraire, il faudrait, compte tenu de l'ampleur, envoyer des troupes armées. Un scénario plus probable, en revanche, est celui d'une prise de contrôle de l'État par le Fonds monétaire international (FMI), donc une perte totale de souveraineté au profit d'une politique, absurde, de matraquage fiscal (voir ce qui s'était passé en Argentine). Pour se sortir d'une banqueroute étatique, il vaut mieux avoir des actions (par exemple chez L'Oréal, parce qu'il y a toujours un besoin en produits d'hygiène), lesquelles actions sont indépendantes de la monnaie d'État. Le problème de l'immobilier, ce sont les dettes. Les plus grandes faillites bancaires de l'histoire étaient celles des banques italiennes : si, encore une fois, un pays ne peut techniquement faire faillite, ceux qui ont prêté au pays en question, eux, se retrouvent dans cette situation (dont les banques).
Huitième question : que deviendraient des investissements en Chine en cas de tension militaire entre ce pays et les États-Unis, l'exemple russe n'étant pas sans alerter ? Gave estime que le danger et le risque, en l'occurrence, sont improbables, car les États-Unis ne sont plus assez solides financièrement pour entrer en conflit avec la Chine. Les États-Unis mènent des guerres dans le monde de façon ininterrompue, ce au moins depuis George Herbert Walker Bush (1924-2018). Traditionnellement, la stratégie militaire de la Chine repose sur l'idée que les victoires les plus importantes viennent des batailles qui n'ont pas été livrées. Les Chinois ne sont pas un peuple guerrier : ils détestent la guerre. Si le PIB américain est de 30000 milliards de dollars, que la totalité des dépôts bancaires américains est de 20000 milliards de dollars, et que le remboursement de la dette américaine arrivant à échéance dans les douze mois à venir est de 7500 milliards de dollars, auxquels s'ajoute un autre déficit budgétaire de 2500 milliards de dollars, le service de la dette aux États-Unis est en train de passer au-dessus du budget de la défense et du déficit de la sécurité sociale ; l'équivalent de la moitié des dépôts bancaires américains devra aller à ce service. Les États-Unis se retrouvent dans une impasse budgétaire. Faire des coupes dans le service de la dette n'est pas envisageable, pour des raisons de contrainte ; les politiques ne s'attaqueront pas non plus à la sécurité sociale, de peur de ne pas se faire élire. Il ne reste que la dépense militaire, susceptible d'être réduite par nécessité. Les États-Unis vont donc probablement arrêter de faire la guerre dans le monde, surtout s'ils perdent en Ukraine, et vont peut-être même arrêter de défendre l'Europe militairement. Même s'ils vendent encore des avions, ces ventes ne sont pas assez rentables pour maintenir la position qu'a été celle des États-Unis dans le monde au cours des décennies passées (surtout avec un déficit extérieur de 1000 milliards de dollars par mois). La masse monétaire américaine devrait exploser, d'où une nouvelle crise inflationniste à l'horizon, laquelle pourrait paradoxalement entraîner la décision d'une guerre, sauf que la population américaine n'est pas enthousiaste à cette idée, d'autant plus que la régression idéologique des armées occidentales (les incitant à promouvoir les minorités de mœurs en leur sein, au nom de la diversité imposée par la gauche) ne les prédispose pas à former des combattants capables, en territoire étranger, de tenir tête à des guerriers plus endurcis.
Neuvième question : pourquoi y a-t-il des seuils à partir desquels les classes d'actifs sont plus favorables ? Le capitalisme fonctionne à partir d'un coût du capital et d'une rentabilité du capital. La rentabilité peut prendre la forme de dividendes : vous pouvez emprunter à 1 ou 2 en Chine, acheter une action qui donne du 5 et avoir un dividende stable. Quand la rentabilité du capital est supérieure au coût du capital, on a une montée. Quand le coût devient supérieur à la rentabilité, le phénomène s'explique, dans certains cas (comme cela s'est passé en Chine), par une importante spéculation immobilière entraînant une déflation de l'immobilier : les prix baissant, les emprunts et les taux augmentant, la rentabilité baissant aussi, tout le monde perd alors de l'argent avec l'immobilier. Le capitalisme consiste donc à essayer de savoir si le coût du capital monte, si la rentabilité du capital va baisser, et dans quels secteurs. Si, dans un secteur donné, le coût du capital monte et que la rentabilité va baisser (tendance générale de l'Allemagne en 2023), il ne faut pas être acheteur ; si le coût du capital baisse et que la rentabilité va monter (tendance générale de la Chine en 2023), il faut être acheteur.
Gave termine l'entretien en répondant à deux dernières questions. Premièrement : par quel mécanisme l'inflation rabote-t-elle les multiples de valorisation ? Quand l'inflation monte et que les taux d'intérêt montent aussi, 1 dollar à toucher dans dix ans perd de la valeur. Idem pour les multiples : quand il y a un climat de confiance et pas d'inflation, 1 dollar à toucher dans quarante ans implique un multiple élevé, sauf si, par la suite, on décide finalement de ne pas aller au-delà de dix ans, entraînant, dans ce cas, une contraction du multiple. Le multiple, en ce sens, s'apparente à l'inverse du taux d'inflation. Deuxièmement : la Chine connaîtra-t-elle le même sort que le Japon avec l'éclatement de la bulle immobilière dans les années 1990 ? Va-t-il y avoir des créances irrécouvrables, un vieillissement de la population, un surinvestissement et une surcapacité ? Pour mieux expliquer ce problème, Gave se réfère à l'influence exercée par Clément Juglar (1819-1905) sur le principal théoricien français des cycles, Albert Aftalion (1874-1956). On peut dire qu'une crise a eu lieu dans un secteur consommateur de capital et qu'elle est en train de se terminer ; la question essentielle pour la Chine, à partir de là, est la suivante : après de gigantesques investissements dans les infrastructures et le développement d'une industrie puissante des infrastructures, laquelle industrie va servir aussi dans le développement des pays de l'océan indien (les Chinois ayant fait en vingt ans ce que les Européens ont fait en cent cinquante ans), qu'est-ce qui pourrait empêcher le syndrome japonais ? La réponse est : le développement dans les pays adjacents, ce qui permettrait un développement de la consommation chez les Chinois (comparable à ce que la France a connu dans les années 1960 avec l'essor des services et des loisirs : il faut que l'économie chinoise soit assez souple pour évoluer depuis les ponts et les routes vers les centres commerciaux et les salles de sport).
Deuxième question : en quoi l'inflation en France ferait-elle baisser la dette du pays ? Pour trouver une façon simple de répondre à cette question, Gave rappelle que les impôts suivent le PIB nominal : mettons que le gouvernement français prenne 40 % d'impôts sur la richesse créée en France ; si le PIB est à 100, il prend 40 ; si le PIB est à 200, il prend 80, mais le remboursement de la dette, lui, se fait toujours à 100. Si le PIB passe de 100 à 200 et que la dette reste à 100, avec les 80 perçus l'État peut payer plus facilement sa dette qu'avec 40. L'inflation permet ainsi de rembourser en monnaie de singe. On appelait Philippe le Bel (1268-1314) le roi faux-monnayeur : en son temps l'emprunt se faisait en livres, et les livres avaient une masse d'or, qui se mesurait en grammes. En faisant baisser cette masse, le roi faisait baisser la valeur des pièces d'or et, par conséquent, remboursait ses dettes avec de moins en moins d'or. Il s'agit d'emprunter dans une monnaie et de faire en sorte que la valeur de cette monnaie baisse, de façon à rembourser moins. Il faut donc comprendre que, à la base, l'inflation n'est pas la hausse des prix mais la baisse de la valeur de la monnaie. L'inflation se définit d'abord comme une hausse de la quantité de monnaie qui, par déviation, cause la hausse des prix.
Troisième question : quel est le lien entre les taux directeurs et les taux destinés aux entreprises et aux ménages ? Le but de la question est de comprendre pourquoi la hausse des taux directeurs a un impact sur les autres taux. Du fait que les banques commerciales créent la monnaie, elles ne l'empruntent pas. Imaginons qu'une banque commerciale puisse emprunter à la banque centrale si elle est en difficulté de trésorerie. Si la BNP a besoin d'argent, elle va voir la Banque de France (parce que la BNP a, par exemple, prêté trop d'argent et qu'il y a une crise de liquidité ; c'était le cas de Lehman Brothers en 2008). Le taux directeur, c'est le taux auquel les banques commerciales empruntent, et personne ne peut emprunter moins cher. Il n'est pas possible d'avoir un taux de marché inférieur au taux directeur car, le taux directeur étant un message envoyé pour dire que le temps va coûter plus cher, c'est lui qui incite à augmenter les prix. Selon Milton Friedman (1912-2006), il n'y a pas de raison qu'une banque centrale existe, ni que le taux directeur existe : on pourrait tout à fait concevoir que la référence soit un taux de marché et que les banques commerciales effectuent des prêts entre elles.
Quatrième question : comment expliquer le mécanisme de déflation par la dette d'Irving Fisher (1867-1947), professeur de Friedman, auteur de The Debt-Deflation Theory of Great Depressions, et comment ce mécanisme influence-t-il les décisions d'investissement dans les obligations d'État ? Qui rembourse les dettes quand tout est à l'arrêt ? Quand il y a un essor, les gens empruntent pour acheter. C'est ce qui se passe en 2023 avec l'immobilier à Paris, d'où la forte augmentation d'une dette convertie en valeur immobilière qui monte. Prenons le cas d'un achat immobilier à dix ans qui monte de 50 % : c'est un enrichissement par la hausse de l'immobilier comparée à la dette ; mais, si l'immobilier se met à baisser fortement avec un emprunt à 100, un immobilier qui tombe à 50 et une dette toujours à 100, le plus dur, alors, n'est pas de payer les intérêts mais de rembourser le principal, entraînant un phénomène d'écroulement de la vitesse de circulation de la monnaie, puisque tout le monde se met à épargner afin de pouvoir rembourser. D'où l'équation de Fisher : MV = PT, "qui relie la quantité de monnaie M, sa rotation dite vitesse de circulation V au volume des transactions T et au niveau général des prix P", entraînant un écroulement du PIB nominal, soit une dépression. Quand le pays n'est pas trop endetté, le seul actif qui monte alors est une obligation d'État, laquelle est et se maintient à 100 comme dit plus haut, devenant le placement-refuge. C'est ce que résume le dicton : "Qui paie ses dettes s'enrichit".
Cinquième question : qu'est-ce qu'un credit crunch au niveau bancaire ? Cette question s'inspire de la crise de 2008, avec l'impossibilité de financer les habitations, la baisse de l'immobilier ainsi que le risque encouru par les banques si les épargnants investissent dans des obligations. Les banques sont comme un réseau neuronal. Elles sont toutes reliées les unes aux autres et se prêtent de l'argent. Quand une banque saute comme Lehman Brothers en 2008, cela entraîne une réaction en chaîne auprès d'autres banques, les banques créditrices arrêtant tout d'un coup de prêter de l'argent aux banques débitrices. Si, dans le même temps, Singapour, ayant besoin de matières premières agricoles australiennes, paie les Australiens avec des dollars US et que les banques américaines, en crise, refusent pendant six semaines d'en prêter aux banques extérieures aux États-Unis, Singapour se retrouve en situation de blocage. C'est ce qui s'est passé en 2008, et la Chine, entre autres, a été elle aussi confrontée au problème. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles la Chine, ne voulant plus revivre ce phénomène, cherche, non pas à détrôner les États-Unis en instaurant une nouvelle monnaie-monde à la place du dollar US, mais simplement à pouvoir continuer ses propres affaires de manière autonome. Les Australiens eux aussi se sont rendu compte de l'inconvénient de posséder des comptes en dollars US dans une banque américaine, sachant que cette dernière peut décider, du jour au lendemain, de bloquer les comptes. D'où l'importance prise par les BRICS dans l'économie mondiale depuis lors. En 2023, on commence à voir le début des solutions de la crise de 2008, car on ne change pas un système monétaire en cinq minutes. Mais l'Europe, avec l'inflation, peut rester perdante encore longtemps, car Vladimir Poutine continue à faire en sorte que le prix du pétrole monte.
Sixième question : pourquoi une monnaie déflationniste est-elle un problème (et que penser du Bitcoin ou de l'étalon-or) ? Une monnaie déflationniste est un problème pour une raison simple, déjà expliquée plus haut : elle rend plus difficile le remboursement d'un prêt, voire provoque la ruine des emprunteurs, et ne profite donc qu'aux rentiers (sauf rentabilité phénoménale). La partie de la question concernant l'étalon-or est davantage d'ordre historique. Quand Gave avait un jour posé la même question à Friedman, ce dernier lui avait répondu qu'il n'avait rien contre l'étalon-or, mais qu'il était possible de faire mieux. Si les banques centrales ne cherchaient pas à s'aligner les unes sur les autres, mais géraient les monnaies de façon compétitive, en fonction de l'exportation et des intérêts de l'industrie, il n'y aurait pas, comme c'est malheureusement le cas, de cartel technocratique de blocage des taux de change et des taux d'intérêt. L'avantage du Bitcoin et de l'or est de discipliner les banques centrales.
Septième question : comment un pays peut-il faire faillite, et quelles en seraient les conséquences visibles et invisibles ? Peut-on reparler, à cet effet, de la Suède de 1992 ? Techniquement, un pays ne peut pas faire faillite. Dans le cadre d'une affaire privée, il peut y avoir une faillite commerciale entraînant une saisie des biens (si l'entrepreneur a, pour vivre au-dessus de ses moyens, emprunté de l'argent sans le rembourser). On ne traite pas un pays comme on a traité Lehman Brothers. Dans le cas contraire, il faudrait, compte tenu de l'ampleur, envoyer des troupes armées. Un scénario plus probable, en revanche, est celui d'une prise de contrôle de l'État par le Fonds monétaire international (FMI), donc une perte totale de souveraineté au profit d'une politique, absurde, de matraquage fiscal (voir ce qui s'était passé en Argentine). Pour se sortir d'une banqueroute étatique, il vaut mieux avoir des actions (par exemple chez L'Oréal, parce qu'il y a toujours un besoin en produits d'hygiène), lesquelles actions sont indépendantes de la monnaie d'État. Le problème de l'immobilier, ce sont les dettes. Les plus grandes faillites bancaires de l'histoire étaient celles des banques italiennes : si, encore une fois, un pays ne peut techniquement faire faillite, ceux qui ont prêté au pays en question, eux, se retrouvent dans cette situation (dont les banques).
Huitième question : que deviendraient des investissements en Chine en cas de tension militaire entre ce pays et les États-Unis, l'exemple russe n'étant pas sans alerter ? Gave estime que le danger et le risque, en l'occurrence, sont improbables, car les États-Unis ne sont plus assez solides financièrement pour entrer en conflit avec la Chine. Les États-Unis mènent des guerres dans le monde de façon ininterrompue, ce au moins depuis George Herbert Walker Bush (1924-2018). Traditionnellement, la stratégie militaire de la Chine repose sur l'idée que les victoires les plus importantes viennent des batailles qui n'ont pas été livrées. Les Chinois ne sont pas un peuple guerrier : ils détestent la guerre. Si le PIB américain est de 30000 milliards de dollars, que la totalité des dépôts bancaires américains est de 20000 milliards de dollars, et que le remboursement de la dette américaine arrivant à échéance dans les douze mois à venir est de 7500 milliards de dollars, auxquels s'ajoute un autre déficit budgétaire de 2500 milliards de dollars, le service de la dette aux États-Unis est en train de passer au-dessus du budget de la défense et du déficit de la sécurité sociale ; l'équivalent de la moitié des dépôts bancaires américains devra aller à ce service. Les États-Unis se retrouvent dans une impasse budgétaire. Faire des coupes dans le service de la dette n'est pas envisageable, pour des raisons de contrainte ; les politiques ne s'attaqueront pas non plus à la sécurité sociale, de peur de ne pas se faire élire. Il ne reste que la dépense militaire, susceptible d'être réduite par nécessité. Les États-Unis vont donc probablement arrêter de faire la guerre dans le monde, surtout s'ils perdent en Ukraine, et vont peut-être même arrêter de défendre l'Europe militairement. Même s'ils vendent encore des avions, ces ventes ne sont pas assez rentables pour maintenir la position qu'a été celle des États-Unis dans le monde au cours des décennies passées (surtout avec un déficit extérieur de 1000 milliards de dollars par mois). La masse monétaire américaine devrait exploser, d'où une nouvelle crise inflationniste à l'horizon, laquelle pourrait paradoxalement entraîner la décision d'une guerre, sauf que la population américaine n'est pas enthousiaste à cette idée, d'autant plus que la régression idéologique des armées occidentales (les incitant à promouvoir les minorités de mœurs en leur sein, au nom de la diversité imposée par la gauche) ne les prédispose pas à former des combattants capables, en territoire étranger, de tenir tête à des guerriers plus endurcis.
Neuvième question : pourquoi y a-t-il des seuils à partir desquels les classes d'actifs sont plus favorables ? Le capitalisme fonctionne à partir d'un coût du capital et d'une rentabilité du capital. La rentabilité peut prendre la forme de dividendes : vous pouvez emprunter à 1 ou 2 en Chine, acheter une action qui donne du 5 et avoir un dividende stable. Quand la rentabilité du capital est supérieure au coût du capital, on a une montée. Quand le coût devient supérieur à la rentabilité, le phénomène s'explique, dans certains cas (comme cela s'est passé en Chine), par une importante spéculation immobilière entraînant une déflation de l'immobilier : les prix baissant, les emprunts et les taux augmentant, la rentabilité baissant aussi, tout le monde perd alors de l'argent avec l'immobilier. Le capitalisme consiste donc à essayer de savoir si le coût du capital monte, si la rentabilité du capital va baisser, et dans quels secteurs. Si, dans un secteur donné, le coût du capital monte et que la rentabilité va baisser (tendance générale de l'Allemagne en 2023), il ne faut pas être acheteur ; si le coût du capital baisse et que la rentabilité va monter (tendance générale de la Chine en 2023), il faut être acheteur.
Gave termine l'entretien en répondant à deux dernières questions. Premièrement : par quel mécanisme l'inflation rabote-t-elle les multiples de valorisation ? Quand l'inflation monte et que les taux d'intérêt montent aussi, 1 dollar à toucher dans dix ans perd de la valeur. Idem pour les multiples : quand il y a un climat de confiance et pas d'inflation, 1 dollar à toucher dans quarante ans implique un multiple élevé, sauf si, par la suite, on décide finalement de ne pas aller au-delà de dix ans, entraînant, dans ce cas, une contraction du multiple. Le multiple, en ce sens, s'apparente à l'inverse du taux d'inflation. Deuxièmement : la Chine connaîtra-t-elle le même sort que le Japon avec l'éclatement de la bulle immobilière dans les années 1990 ? Va-t-il y avoir des créances irrécouvrables, un vieillissement de la population, un surinvestissement et une surcapacité ? Pour mieux expliquer ce problème, Gave se réfère à l'influence exercée par Clément Juglar (1819-1905) sur le principal théoricien français des cycles, Albert Aftalion (1874-1956). On peut dire qu'une crise a eu lieu dans un secteur consommateur de capital et qu'elle est en train de se terminer ; la question essentielle pour la Chine, à partir de là, est la suivante : après de gigantesques investissements dans les infrastructures et le développement d'une industrie puissante des infrastructures, laquelle industrie va servir aussi dans le développement des pays de l'océan indien (les Chinois ayant fait en vingt ans ce que les Européens ont fait en cent cinquante ans), qu'est-ce qui pourrait empêcher le syndrome japonais ? La réponse est : le développement dans les pays adjacents, ce qui permettrait un développement de la consommation chez les Chinois (comparable à ce que la France a connu dans les années 1960 avec l'essor des services et des loisirs : il faut que l'économie chinoise soit assez souple pour évoluer depuis les ponts et les routes vers les centres commerciaux et les salles de sport).