J'attendais l'occasion rare de traiter un sujet d'actualité avec Jean-Marie Le Pen, désormais en retrait de la vie politique. L'occasion m'a été donnée par cet entretien, une initiative utile du journaliste André Bercoff (Sud Radio) : il manquait, en quelque sorte, un lien entre les événements politiques récents et le regard de celui qui fut, et reste encore à certains égards, le représentant historique le plus connu, le plus populaire, de l'extrême droite française. Certains qui lui donnaient tort hier lui donnent raison aujourd'hui, le considérant à présent comme un visionnaire.

Il faut également rappeler que les critiques à son encontre ne viennent pas uniquement des autres familles politiques, mais aussi d'acteurs nationalistes moins connus du grand public. C'est pourquoi, en contrepoint, je tiens à compléter mon résumé de la vidéo par une invitation à prendre connaissance des arguments à charge contre l'intéressé, tels qu'ils sont présentés par Philippe Ploncard d'Assac, ancien cadre du Front national, dans son ouvrage Histoire d'une trahison. Il est important de savoir que d'authentiques militants ont pris des risques, voire sacrifié une partie de leur vie, au profit de l'optique carriériste des autres.

Venons-en à l'entretien. Bercoff présente le contexte : les événements en Russie, en Ukraine, en Arménie, en Israël, à Gaza. Le Pen évoque la passivité des pays européens dans l'histoire actuelle du monde, du fait de l'affaiblissement progressif des différents gouvernements qui composent l'Europe, chacun tirant de son bord. D'où un rôle modeste, davantage victimaire qu'au devant de la scène. En France, on assiste comme dans les autres pays européens à l'affaiblissement général de nos forces politiques et militaires, contribuant à expliquer le recul de l'influence européenne dans le monde.

Le Pen perçoit comme un hommage tardif le fait que certains de ses anciens détracteurs en viennent à reprendre ses idées. Lui estime avoir toujours été lucide, libre et responsable de ses paroles, au risque de choquer parfois, du fait qu'il était en avance par rapport à ses contemporains, car il n'est pas toujours facile d'être un ouvreur de route. Quant à la provocation, elle découlerait naturellement des idées qui ne sont pas celles du commun, et aurait le mérite de briser l'indifférence. Il constate depuis longtemps, en France, un processus de décadence politique, économique et à tous les niveaux.

Ce processus était-il inéluctable ? Le Pen évoque l'usure des institutions. Les situations sont mouvantes, les équilibres se modifient, ne dépendant généralement pas de nous. Nous devons faire face, en répondant à des questions dont nous ne connaissons pas toujours l'intitulé. Lui a conservé une base de réflexion nationale, la nation restant un élément fondamental de la science politique, et donc un élément de détermination des volontés qui s'expriment. Son parti pris a toujours été celui des institutions de défense de la nation.

Concernant l'évolution du personnel politique au fil des décennies, et les différences frappantes qui apparaissent d'une génération à l'autre en termes de niveau et d'épaisseur, c'est également un des signes du temps. Notre capacité d'action a diminué, nous plaçant dans la situation d'attente d'événements qui ne sont pas de notre fait. La vie politique n'est pas surprenante. Elle s'inscrit dans une décadence des institutions et de l'intelligence, liée à nos formules de savoir et d'éducation. La baisse des exigences amène à tolérer plus de faiblesses. L'indulgence face au travail, à l'effort et aux valeurs incite à se contenter de peu. L'élément démographique reste d'une importance capitale, dans l'éventualité d'un sursaut politique.

Sur la question des relations avec l'Algérie, Le Pen faisait partie de ceux qui pensaient qu'il y avait un avenir de développement pour la France à partir de sa plateforme nord-africaine et de l'Algérie française. Il est revenu de ce rêve et s'est adapté à la réalité. Mais les événements, plus que les hommes, peuvent encore changer la donne, même s'ils ne sont pas, pour le moment, favorables à une explosion de la puissance française. Il n'était pas étonné, ceci dit, d'arriver au deuxième tour des élections présidentielles en 2002 : c'était déjà attendu dans le cadre de l'époque.

La montée en puissance des BRICS et la perspective de la dédollarisation ne rendent pas Le Pen enthousiaste outre mesure. Elles ne le surprennent pas non plus, la toute-puissance du dollar étant mise en cause depuis longtemps. Il souhaite simplement que ces évolutions ne nuisent pas à la France. Je ne comprends pas, alors, comment il peut trouver, aujourd'hui, que l'Union européenne est plutôt favorable à notre pays, et encore moins, de ce fait, les commentaires élogieux qu'il reçoit sur Youtube pour ses réponses dans cet entretien, du moins pour celle-ci en particulier.

C'est comme s'il ne faisait pas (ou plus) le lien entre l'Union européenne et le problème de l'immigration et de l'insécurité qu'elle génère, problème qu'il reconnaît pourtant toujours, voyant l'Europe en passe d'être  submergée par l'immigration d'origine africaine. Avec le recul, il se décrit comme un observateur critique de la marche de notre pays, toujours en accord avec l'idée selon laquelle les événements sont plus déterminants que les hommes, même si certains hommes ont une position capitale au sein des événements, appelant à la vigilance et à l'effort.

Sur la question écologique, il confirme son intérêt, en particulier, pour ce qui a trait aux sources, au contrôle et au coût de l'énergie. Selon lui, la récupération de l'écologie par la gauche était injustifiée. Il définit l'écologie comme la défense naturelle des équilibres harmonieux de la civilisation, et pense que la France est demeurée modérée dans ce domaine. Bercoff, à mon avis, aurait pu l'interroger davantage sur la fragilisation de notre parc nucléaire, et sur le forcing de la Macronie en faveur de la voiture électrique, mais à quoi bon cette surenchère ? Depuis le début de l'entretien, Le Pen semble détaché de tout.

Reste l'image de sa liberté de parole et de son goût de la formule. Il évoque aussi le souvenir de son éducation chez les jésuites, une formation classique basée sur le travail, l'effort et la discipline, dans l'apprentissage du grec, du latin, des pensées anciennes et de la valeur relative des opinions selon les moments historiques. Il parle non sans fierté du fait que Marine, sa fille, et Marion, sa petite-fille, se soient imposées dans la vie politique. Avoir été contesté sera probablement la plus sûre garantie que son nom ne sera pas tout à fait oublié.