L'Ukraine est un sujet d'actualité permanent depuis le 24 février 2022, avec l'entrée des troupes russes sur le territoire ukrainien. Le 24 juillet 2023, Henry de Lesquen, du Parti national-libéral (PNL), recevait Xavier Moreau, grand spécialiste de la Russie en général et de la crise ukrainienne en particulier : homme d'affaires, essayiste, auteur notamment de : La nouvelle grande Russie (2011), Ukraine : pourquoi la France s'est trompée (2015) et Le livre noir de la gauche française (2021). Si la première victime dans une guerre, c'est la vérité, les partisans de l'OTAN semblent produire plus d'affabulations que leurs adversaires.

En effet, dans une guerre, les protagonistes n'ont pas intérêt, via la propagande, à mettre en avant l'objectivité, mais certains sont quand même plus objectifs que d'autres. Henry de Lesquen et Xavier Moreau sont pour l'Occident, mais contre l'impérialisme américain. Pour plus d'objectivité, il faut être attentif à ce qui, dans chaque camp, semble aller contre les intérêts du camp en question. Si la contre-offensive ukrainienne commencée le 4 juin 2023 avait connu le moindre succès, elle aurait fait tous les jours la une des journaux en France.

Moreau rappelle que ce 4 juin 2023 précisément, des colonnes de véhicules blindés ukrainiens se lançaient à l'assaut du front sud, soit la région de Zaporijjia et, plus à l'est, le sud du Donbass, ce afin de reprendre la ville de Melitopol et couper ainsi le pont terrestre qui relie la Russie à la Crimée. L'espoir de l'OTAN et de Kiev était de reproduire ce qu'ils avaient fait en septembre 2022 dans la région de Kharkiv, où les conditions étaient complètement différentes : en sous-effectifs, les Russes s'étaient repliés, sans laisser de colonnes de prisonniers.

Dans le sud, les Russes sont mieux préparés, à parité numérique avec 300000 hommes et, dans l'ensemble, une supériorité de l'artillerie ainsi que de l'aviation. Si l'OTAN n'arrive pas à résoudre ces trois problèmes que sont la défense échelonnée, la parité numérique et la supériorité de l'armement (artillerie et aviation), la Russie s'annonce gagnante. Lesquen fait observer que, emportés par leur démesure, les Ukrainiens avaient au contraire intérêt à éviter cette guerre et à accepter les revendications légitimes de la Russie : respect des accords de Minsk de 2014-2015, reconnaissance de l'appartenance de la Crimée à la Russie, et engagement de l'Ukraine à ne pas entrer dans l'OTAN.

Concernant l'appartenance de la Crimée à la Russie, Nikita Khrouchtchev (1894-1971), qui était lui-même ukrainien, avait cédé la Crimée à l'Ukraine en 1954, ce qui veut dire que la Crimée appartenait d'abord à la Russie. Si l'Ukraine avait respecté les trois conditions de la Russie, il n'y aurait pas eu de guerre. Les accords de Minsk, signés en février 2015, avaient une date d'expiration, décembre 2015. Du point de vue international, la Russie était donc en droit d'intervenir depuis janvier 2016, et des pays comme les États-Unis, l'Angleterre, la France, auraient dû soutenir la Russie en ce sens.

Rappelons que, sous Petro Porochenko, le prédécesseur de Volodymyr Zelensky, l'Ukraine était dans l'obligation de respecter l'autonomie des républiques du Donbass, russophones et entrées en rébellion contre la domination ukrainienne, notamment parce que ces républiques refusaient que l'Ukraine les empêche de parler le russe, leur langue maternelle. Or, on sait que, depuis le début, la France et l'Allemagne allaient elles-mêmes contre ces accords, en reconnaissant que le but caché était de laisser le temps à l'Ukraine de constituer une armée efficace.

Sous l'influence de Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, les Russes ont cru naïvement, selon Lesquen, que les partisans de l'OTAN voulaient appliquer les accords de Minsk. Moreau, lui, ne parlerait pas de naïveté : Vladimir Poutine, le 24 février 2022, s'engageait dans une guerre civile au sein du monde russe, et de ce fait il est compréhensible qu'il ait longtemps hésité à le faire. Pendant sept ans, il espérait que les pays d'Europe occidentale se comporteraient, à son égard, comme des acteurs rationnels.

Moreau lui-même ne pensait pas, au début, que l'Allemagne, moteur économique de l'Union Européenne, accepterait de sacrifier son industrie pour suivre les ordres de Washington, qui avait fait une erreur de calcul dans son pronostic des conséquences des sanctions prises contre la Russie. Le fait de geler les actifs russes en Europe a en outre été néfaste pour l'euro qui, en tant que monnaie de réserve, représentait 40 % des réserves de change russes. Depuis lors, les réserves de change russes se résument au rouble, à l'or et au yuan.

Aujourd'hui, quel pays va risquer de prendre l'euro comme monnaie de réserve sachant que, sur ordre de Washington, les fonds peuvent être gelés ? Le Kremlin ne s'attendait pas forcément à cette irrationalité de l'Allemagne et de la France. Lesquen cite l'analyse de Viktor Orban de juillet 2022, selon qui l'asymétrie est telle entre la Russie et l'Ukraine que cette dernière ne peut pas gagner la guerre, malgré la conviction des partisans de l'OTAN de pouvoir armer, former et entraîner les Ukrainiens. L'argent donné à ces derniers est donc de l'argent perdu.

Les Russes voulaient et veulent la reconnaissance de la Crimée avec, à terme, le rattachement des républiques de Lougansk et de Donetsk. Contraints par la résistance de l'Ukraine avec l'appui de l'OTAN, les Russes ont dû réunifier quatre territoires (oblasts), donc deux de plus par rapport à ce qui était prévu initialement. La Russie réclamait 30000 km2 des parties de Lougansk et de Donetsk qu'elle ne contrôlait pas, alors qu'elle va s'emparer en plus de Zaporijjia et de la région de Kherson, la finalité étant de couper les liens entre l'Ukraine et l'OTAN.

Pour prendre l'exemple de la Corée, il n'y a pas eu de traité de paix entre le nord et le sud, mais simplement un accord de cessez-le-feu ; Lesquen ne pense pas que le conflit russo-ukrainien se résoudra de la même façon, qui irait totalement à l'encontre des intérêts russes, même si c'est certainement le plan de sortie de crise de Washington : la situation n'est pas le même, confirme Moreau, car les Ukrainiens et leurs alliés en ont déjà assez, alors que les Russes ne font que s'échauffer (mise en route du complexe militaro-industriel, accélération des programmes d'équipement militaire, production colossale de munitions, intégration des drones).

À présent, les Russes veulent au moins prendre Kharkov, Mykolaïv et Odessa. Les Ukrainiens, eux, ont avant tout besoin de munitions, et Joe Biden lui-même reconnaît qu'il n'y en a plus. L'OTAN ne peut leur fournir d'effectifs non plus. Nous ne sommes plus en 1914 ni en 1939 : les Français n'accepteraient pas d'aller se battre contre les Russes pour un pays, l'Ukraine, que pour la plupart ils ont du mal à situer sur une carte du monde. Idem en ce qui concerne les Allemands et les Suédois. Il faut espérer que l'échec de l'OTAN aura des conséquences politiques.

Au sommet de l'OTAN de Vilnius, en Lituanie, on avait promis à l'Ukraine qu'elle intégrerait l'OTAN à la fin de la guerre. Si elle le faisait dès maintenant, tous les pays de l'OTAN seraient censés, en vertu de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord, participer au conflit russo-ukrainien, ce qui aboutirait à une guerre mondiale dont personne de raisonnable ne veut. La Russie, de son côté, n'a pas intérêt à arrêter la guerre avant d'avoir mis un gouvernement pro-russe à la tête de l'Ukraine, ce précisément afin d'éviter l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN.

La Russie va probablement réussir à s'emparer de quatre régions supplémentaires : Dnipropetrovsk, Kharkov, Mykolaïv et Odessa, soit ce que l'on appelait la Nouvelle-Russie, correspondant à la circonscription administrative mise en place par la Grande Catherine à la fin du dix-huitième siècle. Une fois que la Russie aura pris le contrôle des ports et des grandes zones industrielles, qui sont profondément russes, l'Ukraine deviendra moins dangereuse pour la Russie, qui exigera ensuite une zone-tampon : l'Ukraine centrale, ou Petite Russie.

Peut-être, alors, la Pologne pourra-t-elle s'emparer des régions qui lui ont appartenu juste après la première guerre mondiale et avant le partage de la Pologne, c'est-à-dire la Galicie et la Volhynie. Ce point reste improbable pour Lesquen, dans la mesure où les Ukrainiens étaient plus hostiles aux Polonais qu'aux Russes. Stepan Bandera (1909-1959), le chef des nationalistes ukrainiens entre les deux guerres, était originaire de Galicie, dont les serfs ukrainiens, jusqu'au dix-huitième siècle, vivaient mal leurs relations avec les seigneurs polonais.

À noter que les nationalistes ukrainiens sont des adeptes de l'assassinat politique. Exemple récent : celui de Daria Douguina (1992-2022). Du point de vue de la France, nous n'avons aucun intérêt en Ukraine. Que l'Ukraine telle qu'elle est aujourd'hui se maintienne ou qu'elle soit découpée entre la Pologne, la Hongrie, la Roumanie et la Russie ne changera rien à notre situation. Pour Moreau, on aurait davantage intérêt, à la limite, à être discrètement du côté de la Russie en termes de coopération internationale, notamment sur le plan énergétique.

Pour Lesquen, on aurait dû d'abord rester neutre dans ce conflit ; ensuite, il aurait fallu voir plus loin : si l'ennemi de la France est la superclasse mondiale autour de l'impérialisme yankee, nous avons stratégiquement intérêt, à terme, à faire de la Russie notre alliée contre les États-Unis d'Amérique. Le nationalisme ukrainien, comme le nationalisme allemand, puise son inspiration dans une mythologie de la langue et de la race, contrairement au nationalisme russe et au nationalisme français qui, eux, s'appuient sur une histoire réelle.

Lesquen donne la définition suivante de la nation : il s'agit d'une communauté de destin historique fondée sur les liens du sang et constituée autour d'une ethnie prépondérante sur un territoire continu. Je préfère la définition de Philippe Ploncard d'Assac, qu'il donne dans Le nationalisme français, autour des "principes qui conviennent à un pays déterminé pour se maintenir incorrompu dans son être". La différence entre patriotisme et nationalisme, c'est la différence entre territoire et principes. Une nation, c'est un peuple qui partage les mêmes principes.

Ces principes englobent les liens du sang, l'ethnie prépondérante, le territoire continu, avec cependant une dimension plus importante encore que celles-ci : celle des principes. Une nation, c'est un peuple uni par la même idée de son destin collectif. Le nationalisme authentique, c'est la volonté de défendre les principes de la nation et l'héritage qu'ils constituent. Dans le sens où l'entend Ploncard d'Assac, on comprend pourquoi un patriote n'est pas un nationaliste, alors qu'un nationaliste, lui, est forcément patriote, avec des qualités en plus.

Ces qualités se traduisent par la conformité à l'héritage des éléments constitutifs de notre histoire profonde. C'est pourquoi Lesquen raisonne malgré lui comme le ferait un Allemand, en s'arrêtant à la langue et à la race, et se réfère à Hugues Capet pour dater l'origine de l'histoire de France, alors que Ploncard d'Assac, attentif à l'importance constitutive du catholicisme dans l'histoire de notre pays, raisonne comme un Français et se réfère à Clovis pour dater l'origine de l'histoire de France. C'est un point essentiel pour comprendre ce qui fait la spécificité de l'extrême droite en tant que famille politique.

Si, dans un autre sujet, je dis que Jérôme Bourbon est plus disposé à avoir une intelligence du parcours de Dominique Venner (1935-2013) malgré leurs différences doctrinales, c'est en vertu d'un œcuménisme théorique l'incitant à faire la part entre l'intérêt documentaire du corpus d'un auteur, et ses implications politiques par ailleurs. Philippe Ploncard d'Assac est tout aussi intelligent (et, d'ailleurs, courageux), d'une manière différente : ce qu'il met en avant, lui, c'est la cohérence doctrinale d'une démarche empiriquement viable car historiquement attestée, avec en plus l'avantage de toujours mesurer ses propos.

Cette mise au point résume parfaitement les arguments favorables à une préférence, en termes de positionnement, pour le point de vue de Philippe Ploncard d'Assac (en première position), de Jérôme Bourbon (en deuxième position) et d'Yvan Benedetti (en troisième position, en tant qu'héritier légitime du combat politique et des idées de Pierre Sidos). Ils peuvent être considérés, dans cet ordre, comme les trois principaux défenseurs de la doctrine nationaliste française à l'heure de cette actualité. Les références à Dominique Venner, à Henry de Lesquen ou à Pierre-Yves Rougeyron sont, en comparaison, d'un intérêt documentaire, intellectuel, théorique, avec des réserves critiques.

Par exemple, et pour en revenir au sujet après cette parenthèse de ma part, Lesquen a raison de rappeler que Kiev est le cœur de la Russie historique au dixième siècle, lorsque Vladimir se convertit à la religion byzantine. C'est à partir de cette Russie de Kiev que la pression démographique a donné la Moscovie au nord-est et la Biélorussie au nord. Il y a en fait trois Russies : la Grande Russie (capitale : Moscou), la Russie blanche (capitale : Minsk) et la Petite Russie (capitale : Kiev). C'est pourquoi le nationalisme ukrainien est frelaté, rejetant cette origine commune (Moreau précise : avant Kiev, il y a cependant eu Novgorod).

D'ailleurs, on peut traduire "Ukraine" en français par "périphérie", ce qui veut dire que l'Ukraine actuelle n'est que la périphérie de la Grande Russie. Toujours est-il que le nationalisme ukrainien rejette la communauté d'origine des trois Russies. De plus, les ennemis historiques des Ukrainiens sont, disons-le encore une fois, les Polonais. Enfin, le nationalisme ukrainien oublie que, si la langue ukrainienne existe, elle n'est qu'un dialecte par rapport au russe ; les grands écrivains ukrainiens, comme Nicolas Gogol (1809-1852), écrivent en russe.

Lesquen et Moreau soulignent le fait qu'il y a une persécution en Ukraine contre les adeptes du christianisme russe orthodoxe, affligés du silence médiatique à ce sujet, y compris chez ceux qui parlent habituellement de la persécution des chrétiens dans le monde, d'autant plus que les auteurs ukrainiens de ces persécutions sont, évidemment, des représentants du lobby cosmopolite des minorités de mœurs. Cet aspect du sujet contribue à expliquer la dimension religieuse du combat de la Russie contre la branche décadente des puissances occidentales.

C'est pourquoi il est utile de rappeler, comme le fait l'émission, tout le discrédit qui affecte à juste titre la personne de Zelensky, quand on reprend son parcours de comédien et ses apparitions médiatiques. Le fait qu'il soit arrivé au sommet de l'État correspond à l'accomplissement d'un projet né en 2016. Son entourage politique, relativement méconnu (Mykhaïlo Podoliak, Andriy Yermak, Oleksiy Danilov, Vitali Klitschko), contrôle pourtant l'actuel président ukrainien et le pousse à agir comme il le fait (car lui ne contrôle plus rien).

L'Ukraine de 2023 est, sans commune mesure, plus affectée par la corruption que la Russie. C'est aussi un pays dont les habitants, dans l'ensemble, ne veulent pas se battre (et on les comprend), trouvant divers moyens pour échapper à l'enrôlement. La Russie est le premier pays à accueillir des réfugiés ukrainiens (trois millions et demi depuis 2022, cinq millions huit cent mille en comptant ceux arrivés avant). La mobilisation massive de soldats ukrainiens opérée pendant la deuxième moitié de l'année 2022 s'est faite sous la contrainte.

De son côté, la Russie a su tirer parti des sanctions occidentales pour améliorer son économie, ce dont Poutine est conscient depuis les années 2014, 2015 et 2016. Malgré une baisse constatée du cours du rouble et une augmentation du taux d'intérêt de la banque centrale de la fédération de Russie (8,5 % au moment de l'émission, selon Moreau), il faut savoir qu'en Russie la plupart des crédits sont financés et que le taux de la banque centrale rend donc mal compte du taux auquel on peut emprunter. Dans l'ensemble, les perspectives économiques sont plutôt bonnes.

Du fait des sanctions contre son économie, la Russie a été incitée à mettre en place sa propre carte de paiement (la carte Mir), d'où l'absence d'effet, en Russie, du blocage de Visa et de Mastercard en 2022. 80 % des Russes vivent en Russie à l'année. Le SPFS, système de transfert financier russe, remplace le SWIFT en Russie. On a également assisté à une embellie agricole : la Russie, qui importait du cochon, désormais en exporte, et le secteur agro-alimentaire russe a, dans l'ensemble, bénéficié du développement de sa propre chaîne de matériel agricole.

Poutine comptait sur les sanctions occidentales pour aller plus loin, et c'est ce qui est en train de se passer. La Russie a de nouvelles ambitions industrielles, d'autant plus qu'il y a une place à prendre, en Europe, du fait du coût trop important de l'énergie en Allemagne : la Russie va devenir l'endroit où, si vous voulez ouvrir une usine, vous allez trouver de l'électricité bon marché, ainsi que des ressources en abondance. Le seul problème encore à résoudre, c'est la pénurie de main d'œuvre. La réintégration de l'Ukraine devrait contribuer à résoudre le problème démographique sous-jacent.

Concernant les relations franco-russes, Poutine sait faire la part entre la population française et les dirigeants politiques français. En Afrique, les Russes bénéficient en fait de l'attitude d'Emmanuel Macron qui se discrédite (par exemple en se moquant du président burkinabé comme il l'avait fait en 2019). Les Russes, contrairement aux Français, ne donnent pas de leçons aux Africains : ils ne se mêlent pas de vouloir exporter des lobbies minoritaires en Afrique, et se contentent de rester sur le terrain des intérêts économiques, une méthode qui fonctionne.