Même s'il est souverainiste et non d'extrême droite, je continue à citer Pierre-Yves Rougeyron principalement pour deux raisons : la qualité de ses entretiens (ainsi que de son travail éditorial et d'analyse de l'actualité dans l'ensemble), et le fait qu'il y a quand même une proximité dans les idées sur certains points (notamment la critique du wokisme, même si je vais plus loin que les souverainistes dans ce sens, à un point tel que je ne peux pas le dire si je veux rester dans un cadre légal et c'est le cas, ce qui explique pourquoi j'en suis venu à revendiquer légitimement et ouvertement la promotion d'une extrême droite qui, disons-le, n'a pas de représentation actuelle chez les grandes figures médiatiques de la droite nationale en France, que ce soit Marine Le Pen, Éric Zemmour ou d'autres). D'où un désaccord profond, d'ailleurs, sur la question du rapport (y compris d'un point de vue idéologique) au thème de la mort et de ses implications.
Il faut être prudent avec ces points du débat, non seulement par sécurité légale, mais aussi par intelligence politique. J'ouvre cette parenthèse car il est important de rester conscient du fait que, surtout au vu de l'évolution actuelle, se réclamer d'un certain extrémisme est un positionnement qui requiert, plus qu'ailleurs, des points de contrôle fréquents, pour des raisons similaires à celles rencontrées dans des situations (qui peuvent relever du quotidien) où l'on est amené à manipuler des produits dangereux. En outre, la volonté de mise à mort des adversaires politiques dans un cadre légal adapté peut contribuer à définir l'extrême droite, mais ne présente pas d'intérêt en soi. Ce qui est intéressant, c'est de comprendre que tout régime politique repose sur des choix civilisationnels qui, même si certains refusent de le voir, peuvent entraîner l'exclusion jusqu'à son acception radicale, mortifère, pour des raisons liées à la nécessité de la survie d'un modèle.
C'est, en ce sens, la ligne de démarcation entre la droite et l'extrême droite, qui échappe aux commentateurs définissant cette dernière selon des références historiques attestées mais qui, par omission, ne prennent pas suffisamment la mesure du critère de force idéologique. Or, ce qui définit la force idéologique, à un certain point (le point, précisément, de rupture entre droite et extrême droite), c'est la relation entre la politique et l'acceptation ouverte de la mort en tant que levier politique, comme pouvant faire l'objet, ainsi que démontré ici même, d'un exposé calme et sérieux. Cela veut-il dire que les partisans d'un régime politique soi disant modéré n'ont jamais tué ? Non, bien au contraire, l'un des principaux cas devant être cités concernant la politique d'épuration menée en France contre les collaborateurs dès 1944. C'est, d'ailleurs, la preuve historique d'une fracture entre la droite et l'extrême droite. Rougeyron est un souverainiste, pas un réactionnaire.
Le premier sujet politique qu'il aborde dans cet entretien concerne l'anti-écologisme de droite, constaté autour de lui. La position de l'auteur peut se résumer ainsi : écartant les caricatures, il invite à considérer la gestion des ressources naturelles dans un cadre national, ces ressources naturelles constituant la richesse de notre pays, d'où l'appel à une écologie mesurée aux données d'un ensemble géographique et politique restreint (la France en l'occurrence), de préférence à des exigences dictées par des entités administratives supranationales soi disant au nom de la défense de la planète dans sa globalité (étant entendu que, si chaque pays avait assez de marge de manœuvre pour estimer quelles politiques environnementales doivent être menées à son échelle en fonction de ce qu'il connaît, la planète dans l'ensemble se porterait mieux). En bref : que la France s'occupe de l'environnement à sa propre échelle, selon les besoins de sa propre population.
Cette rationalité fondée sur la maîtrise d'un territoire donné nous rappelle que les écosystèmes naturels eux-mêmes se comportent localement, indépendamment de l'intervention humaine, même s'il existe également des écosystèmes globaux à l'échelle planétaire. Parmi les auteurs critiques envers le GIEC et le consensus écologiste mondial, on peut citer Bertrand Alliot, François Gervais, Christian Gérondeau, Marc Le Menn et Emmanuel Leroy Ladurie. Toujours est-il que, en accord avec le biomimétisme, le lien entre durabilité et souveraineté est nécessaire, car on ne peut agir sur un écosystème global que si notre propre environnement reste à portée de nos décisions. Rougeyron souhaiterait un débat contradictoire avec Serge Latouche autour de la question de la décroissance. Il est, pour le moins, plus sceptique envers les courants, y compris d'extrême droite, se réclamant de l'influence de Thomas Malthus (1766-1834) et de l'idée de dépopulation.
Il nous est rappelé que les politiques menées contre le parc nucléaire français ont pour origine le lobby éolien et solaire allemand via Bruxelles. En l'occurrence je suis d'accord avec Rougeyron sur la gestion, à échelle nationale, des ressources naturelles et plus généralement. C'est, entre autres, par une critique de la mafia que, dans une vidéo en date du 22 septembre 2012 (https://www.dailymotion.com/video/xtsu3c), j'en étais venu à me prononcer explicitement en faveur de la relocalisation économique (donc à un niveau plus vaste que celui des seules questions d'écologie). Le texte a, depuis, fait l'objet de plusieurs publications (ainsi que celui de mes autres vidéos). Cependant le principe de base est le même : que l'on prenne la question sous l'angle de l'environnement ou sous celui de la lutte contre le crime organisé, relocalisation équivaut à réappropriation. L'idée est toujours celle du droit d'agir sur sa proximité.
Je suis également d'accord avec Rougeyron sur son analyse de la Macronie et de ses remaniements, dont le dernier en date. Mais qui ne serait pas d'accord avec une telle analyse (face au constat d'un entourage d'obligés, "qui ne font pas d'ombre à l'ombre du patron") ? En face, on a une Marine Le Pen malheureusement muselée (mon diagnostic la concernant était déjà désillusionné avant, y compris en 2017 : https://vimeo.com/216895041). Aujourd'hui, face à la déferlante hystérique des minorités de mœurs et immigrationnistes, je suis prêt à soutenir le RN dans les urnes pour faire barrage à LFI ou à EELV, car l'état de délitement de la France est devenu tel que les partis gauchistes risquent d'arriver au pouvoir. Or, ma vision de la gauche et de l'extrême gauche s'inscrivait déjà, auparavant, dans une perspective critique de refonte des idées et des propositions, qui n'a rien à voir, en définitive, avec la réalité historique de la gauche et de l'extrême gauche telles qu'elles se sont faites, ne serait-ce que parce que j'ai toujours été : antimaçonnique, anti-minorités de mœurs, anti-immigrationniste et partisan de la peine de mort.
Se dire "pro" ou "anti" n'ayant d'intérêt que via les arguments qui, à l'appui d'un positionnement, ouvrent des perspectives par rapport à des objectifs que l'on souhaite atteindre, en l'occurrence politiquement, je fais une nouvelle parenthèse pour expliquer, conjointement, les quatre derniers points soulevés dans le paragraphe précédent. Qu'est-ce que la franc-maçonnerie, sinon l'une des manifestations les plus notables, en termes de réseaux relationnels, de l'idéologie humaniste et fraternelle ? Si l'on ne condamne pas cette dernière, on n'atteint pas la source du problème auquel sont confrontés les pays dans leur incapacité, à cause de la censure supra-étatique, à mener sur leur sol la politique souhaitée, car l'humanisme et la fraternité sont la cause philosophique profonde d'une vision politique centrée, non pas sur les nations, mais sur l'espèce humaine au nom d'une notion de bien commun (inclusive, immigrationniste et abolitionniste).
C'est, en ce sens, qu'il est intéressant d'expliquer pourquoi l'on est antimaçonnique, anti-minorité de moeurs, anti-immigrationniste et partisan de la peine de mort : en condamnant l'humanisme et la fraternité au nom d'une volonté politique de réappropriation locale, on condamne forcément la franc-maçonnerie, qui applique les idées humanistes et fraternelles, ainsi que ses conséquences politiques de plus en plus virulentes au fur et à mesure d'un pourrissement inhérent à cette même approche maçonnique (conséquences politiques illustrées par les revendications wokistes, qui sont à la fois inclusives, immigrationnistes et abolitionnistes). En bref, la question se pose, du monde dans lequel nous souhaitons vivre. Si ce monde souhaité n'est pas celui de l'ouverture pour l'ouverture, ni de la solidarité par principe, mais celui où nous aurions la possibilité de vivre pour nous-mêmes et pour nos proches, la famille politique adaptée doit être l'extrême droite.
C'est en cela que je m'inscris en faux par rapport aux aspects de la critique de Rougeyron qui, pour sa part, reste attaché aux figures de l'homme de la Renaissance, de l'homme des Lumières et de la république française dans son acception gaullienne et fédératrice. Sans être contre le progrès scientifique, pour ma part je ne le rattache pas à la Renaissance ni aux Lumières. Il est tout à fait possible de progresser dans nos connaissances et dans nos techniques avec une autre vision philosophique et politique. Quant au gaullisme, son rapport consubstantiel supposé à la notion d'avancée scientifique est encore moins évident que dans le cas de la Renaissance et des Lumières, lesquelles, même si elles peuvent faire l'objet de désaccords en termes d'état d'esprit, de finalité, ont entretenu un lien historique et factuel de premier plan avec les questions d'ordre épistémologique. Toujours est-il que, si l'on veut relocaliser, la radicalité s'impose à terme.
Nous sommes tous dans une impasse politique, du moins si l'on se base sur l'offre actuelle et les probabilités de faire avancer nos idées en termes de représentation dans le cadre électoral. La difficulté est telle que nous en venons à débattre sur le choix de l'impasse en question (avec, implicitement, l'idée de pouvoir transformer l'impasse en issue, aussi ténues soient les chances d'y arriver). De ce fait, impasse pour impasse, je préfère celle du RN à celle des souverainistes, car ces derniers, avec leur projet de Frexit, se condamnent à des alliances (encore une fois gaulliennes) avec des LFI, ce qui est une aberration. Je n'idéalise pas le RN, et mes critiques à son encontre restent entières, mais sa ligne est quand même moins incohérente que celle d'un François Asselineau qui, quoi que l'on en pense, a toujours tendance à mettre en avant le Frexit d'abord, les questions de politique intérieure ensuite. Le RN, au moins, présente une alternative (sortie ou réformisme).
Autre point de désaccord, contrairement à Rougeyron je ne mettrais plus l'écologie en avant dans un discours politique. Via la référence à l'extrême droite, l'objectif est de promouvoir un monde où, non seulement les individus peuvent vivre pour eux-mêmes et pour leurs proches (garantie offerte par la référence privilégiée au cadre national), mais aussi où l'attrait consumériste reste un argument majeur. Cela ne veut pas dire que l'écologie serait absente d'un tel monde, mais que la part d'écologie voulue serait simplement actée, sans en parler, comme conséquence indirecte d'autres choix politiques considérés comme majeurs : les entreprises françaises, l'emploi, les salaires. Comme il existe plusieurs approches de l'extrême droite, et que la mienne correspond à une vision hypertrophiée du reaganisme, ce que je souhaite pour la France, c'est en fait de sortir de la république pour transformer le pays en une sorte de marché-nation, centré sur ses intérêts.
Je referme cette parenthèse, non sans faire observer, en outre, que l'humanisme, la fraternité ainsi que la notion maçonnique de bien commun, de par la contrainte opérée au niveau du partage de l'information qu'ils s'efforcent de promouvoir à une échelle globale, et l'exhibitionnisme qu'ils entraînent ainsi dans les pratiques, phénomène confirmé et amplifié à l'heure d'Internet et des autres médias de masse (lesquels, bien qu'en recul, existent toujours), sont profondément attentatoires à toute forme de vie privée, raison pour laquelle l'idéologie de l'ouverture doit être condamnée, afin de permettre à chacun de préserver sa sphère propre. Cette aspiration démontre que nous, hétérosexuels, avons le sens de la pudeur et de la réserve, contrairement aux minorités de mœurs qui, du fait de leur besoin puéril de reconnaissance lié à leur manque de maturité, se livrent à un déballage public permanent. Cela étant dit, revenons-en à l'entretien.
Rougeyron pense que l'interdiction de l'abaya aurait dû faire l'objet d'une circulaire et non d'un débat, car ce dernier occulterait le vrai problème de l'école actuelle en France, qui est celui de la perte du sens. Sans contredire son analyse, je pense que l'abaya n'est pas un problème majeur dans notre pays et que son interdiction montre, en fait, l'absence de volonté politique de stopper l'immigration. En effet, dans un pays hostile aux politiques migratoires, la présence de minorités ethniques visibles (y compris par l'abaya) ne constituerait pas une menace pour l'identité nationale, car les minorités ethniques resteraient minoritaires du fait même de l'intransigeance du contrôle des frontières. Outre les vannes migratoires, le pourrissement de l'identité française aujourd'hui passe, bien davantage que par l'abaya, par la promotion républicaine des minorités de moeurs. Ce qu'il faut interdire, c'est le mariage pour tous, l'enseignement des théories du genre et l'éducation sexuelle à l'école. Mais comment la république humaniste et fraternelle interdirait-elle ses principaux centres d'intérêt ?
Je rejoins Rougeyron, par contre, sur la manière dont il présente la dissolution de Civitas, soit : une posture permettant à Gérald Darmanin de flatter les gauchistes en leur montrant qu'il a fait reculer, en France, ce que son public-cible considèrerait comme une résurgence du fascisme. Civitas est une des composantes de l'extrême droite française, catholique en l'occurrence. Il faut donc, ici, considérer ses membres comme des alliés potentiels, tout en refusant, comme le fait d'ailleurs Rougeyron, la position réductrice qui consisterait à présenter le nationalisme comme un projet judéophobe. Ce n'est pas au nom des bons sentiments qu'il convient de distinguer le nationalisme du racisme mais, encore une fois, pour se concentrer sur les clivages politiques en tant que tels, c'est-à-dire sur les actions que l'on souhaite mener. Il est, à ce titre, utile de rappeler que Civitas n'a jamais commis ni même promu d'action violente. C'est pourquoi, d'ailleurs, je désapprouve la dichotomie entre État de droit et État légal : il faut toujours mesurer la part qui revient à la présomption d'innocence.
Je comprends, en même temps, sous quel angle de l'actualité Rougeyron en vient à une telle dichotomie : la question des gangs et du narcotrafic venu d'Amérique latine, gagnant l'Europe via Rotterdam, et donc amenant aussi les dealers sévissant en France, issus de l'immigration maghrébine, à se radicaliser dans leurs méthodes. D'où ma proposition qui, au lieu de remettre en cause l'État de droit au nom de l'État légal (puisque les deux notions peuvent se recouper), consisterait à définir des terrains différents, et à légitimer une action violente de la police, sous forme d'exécutions sommaires, là où il est manifeste que les profils identifiés bafouent toute conception du droit. Autrement dit, il y aurait un permis de tuer, accordé aux forces de l'ordre, qui existe en partie déjà mais qui serait étendu à des zones et à des situations identifiées comme relevant du non-droit. Cela débriderait l'action policière sans remettre en cause l'État de droit.
D'ailleurs, n'est-ce pas en vertu de freins moraux humanistes que Rougeyron se prononce en faveur de l'emprisonnement en haute sécurité de certains criminels qui, au vu de leur propre détermination, ne méritent que d'être brisés ? Je veux dire : quitte à vouloir briser des narcotrafiquants endurcis, pourquoi ne pas autoriser la police à les abattre purement et simplement ? Pourquoi dépenser de l'argent dans des prisons où, même si ce sont "des écoles de gladiateurs", les criminels en question sont quand même logés et nourris ? C'est pourquoi, à mon sens, la partie la plus intéressante de l'analyse de Rougeyron qu'il consacre à l'actualité internationale n'est pas celle sur le trafic de drogue à échelle mondiale (car il en tire des conclusions réductrices en termes de droit, d'ordre légal, et, qui plus est, contreproductives au regard de ses propres objectifs), mais celle sur les BRICS et sur la dédollarisation. J'y consacrerai les derniers paragraphes de ce résumé.
Le terme BRICS (initialement BRIC) vient de la gestion de fonds, et d'un rapport sur les pays émergents. Il nomme donc une réalité préexistante à l'analyse de Goldman Sachs. Le groupe Brésil, Russie, Inde et Chine a été élargi à l'Afrique du Sud, pour autant il n'y aura pas de camp des BRICS, encore moins contre l'Occident. C'est juste la carte diplomatique hétérogène mise en avant par certains pays. La question de l'unité de compte pour les échanges internes aux BRICS s'ajoute à celle de l'éventuel élargissement du groupe, et concerne la dédollarisation. Les États-Unis ont commis l'erreur d'utiliser le levier de la monnaie-monde (voir, à ce sujet, les ouvrages de Norman Palma). Qui tient la monnaie-monde tient le droit mondial, ce qui a donné l'extraterritorialité du droit américain, mais c'est une malédiction économique, obligeant à un déficit structurel (car tout le monde a besoin de votre monnaie, donc votre monnaie quitte votre territoire).
De plus, il faut avoir un budget de la défense pléthorique pour contrer les pays qui veulent remettre en cause la monnaie-monde. En résumé, si vous êtes les États-Unis et que vous gardez votre monnaie-monde, vous êtes obligés de maintenir un impérialisme dont le prix est la destruction de l'économie intérieure américaine, à tel point que, à la fin, vous n'avez même plus la richesse intérieure nécessaire au maintien de la monnaie-monde. On le sait depuis les années 1960. Certains Américains ont toujours tenu ce raisonnement : les paléo-conservateurs, anciens proches de Richard Nixon (1913-1994) devenus proches de Pat Buchanan. Il a fallu attendre l'ère de Donald Trump pour que des officiels américains reprennent ce raisonnement à leur compte. Les trumpistes sont donc des gens sérieux. D'habitude, un Américain ne parle jamais en mal du dollar. Le problème est que la dédollarisation résulte du retrait des BRICS de ce marché.
La raison en est que les BRICS refusent l'ingérence américaine, ou la saisie de leurs avoirs (mode opératoire des pays européens par ailleurs, condamnant ainsi une monnaie qui n'a jamais été de réserve, les réserves de change des monnaies ayant constitué l'euro, une fois cumulées, étant supérieures aux réserves de change de l'euro tel qu'il est). Il faut garder en vue que les BRICS sont hétérogènes, et que c'est de loin la Chine qui y pèse le plus, d'une dominance au sein des BRICS équivalente à celle des États-Unis en Occident. Dans ce contexte, soit on opère l'unité de compte au sein des BRICS, soit on choisit l'intervention des monnaies nationales. Le but des BRICS est de faire passer le dollar de 70 % des transactions quotidiennes à 35 % mais pas moins, sinon la Chine devrait créer une chambre de compensation pour les pays, au sein des BRICS, moins sollicités que d'autres, et Pékin ne veut clairement pas se ruiner en ce sens.
Les BRICS, dans l'ensemble, n'ont pas intérêt à une chute brutale des États-Unis, car cela créerait une instabilité probablement ingérable à leur niveau. Par ailleurs, la Russie n'est pas le pays qui va libérer la France, en instaurant un nouvel ordre continental. D'un point de vue réaliste, la France pourrait envisager d'acquérir un statut de pays observateur au sein des BRICS, mais à condition de renoncer à des politiques de sanction (l'histoire ayant d'ailleurs montré que de telles politiques n'ont généralement pour effet que d'inciter les pays sanctionnés à se renforcer). Il faut retenir que les BRICS ouvrent des perspectives intéressantes, mais qu'ils ne sont pas une alliance à vocation offensive, pas plus que les pays européens dont la France. Il faut revenir aux trois règles de la diplomatie classique : démoralisation de la vie internationale, respect du droit international et respect du droit de chacun d'acquérir une puissance (quelle qu'en soit la définition).
Pour en revenir à la question de l'unité de compte des BRICS : comme il n'y aura pas de chambre de compensation, il reste d'un côté les partisans de l'unité de compte, et de l'autre côté l'Inde notamment qui préfère les monnaies nationales. Le seul point sur lequel les BRICS s'entendent, c'est qu'ils ne veulent pas être régis par l'Occident. Ils considèrent que leurs affaires ne regardent qu'eux, et qu'ils ne parleront entre eux sans intermédiaire que tant que les occidentaux les prendront de haut. Il est vrai que la Chine, par l'intermédiaire des Russes, a réussi à rapprocher l'Iran et l'Arabie Saoudite, et que les BRICS possèdent, en 2023, 51 % de la production du pétrole mondial. En maintenant des prix du pétrole élevés, ils nous rendent service. Quelqu'un qui menace nos approvisionnements nous oblige à nous moderniser, à nous passer des matières premières que nous n'avons pas et donc à motiver le génie de nos ingénieurs.
Il faut être prudent avec ces points du débat, non seulement par sécurité légale, mais aussi par intelligence politique. J'ouvre cette parenthèse car il est important de rester conscient du fait que, surtout au vu de l'évolution actuelle, se réclamer d'un certain extrémisme est un positionnement qui requiert, plus qu'ailleurs, des points de contrôle fréquents, pour des raisons similaires à celles rencontrées dans des situations (qui peuvent relever du quotidien) où l'on est amené à manipuler des produits dangereux. En outre, la volonté de mise à mort des adversaires politiques dans un cadre légal adapté peut contribuer à définir l'extrême droite, mais ne présente pas d'intérêt en soi. Ce qui est intéressant, c'est de comprendre que tout régime politique repose sur des choix civilisationnels qui, même si certains refusent de le voir, peuvent entraîner l'exclusion jusqu'à son acception radicale, mortifère, pour des raisons liées à la nécessité de la survie d'un modèle.
C'est, en ce sens, la ligne de démarcation entre la droite et l'extrême droite, qui échappe aux commentateurs définissant cette dernière selon des références historiques attestées mais qui, par omission, ne prennent pas suffisamment la mesure du critère de force idéologique. Or, ce qui définit la force idéologique, à un certain point (le point, précisément, de rupture entre droite et extrême droite), c'est la relation entre la politique et l'acceptation ouverte de la mort en tant que levier politique, comme pouvant faire l'objet, ainsi que démontré ici même, d'un exposé calme et sérieux. Cela veut-il dire que les partisans d'un régime politique soi disant modéré n'ont jamais tué ? Non, bien au contraire, l'un des principaux cas devant être cités concernant la politique d'épuration menée en France contre les collaborateurs dès 1944. C'est, d'ailleurs, la preuve historique d'une fracture entre la droite et l'extrême droite. Rougeyron est un souverainiste, pas un réactionnaire.
Le premier sujet politique qu'il aborde dans cet entretien concerne l'anti-écologisme de droite, constaté autour de lui. La position de l'auteur peut se résumer ainsi : écartant les caricatures, il invite à considérer la gestion des ressources naturelles dans un cadre national, ces ressources naturelles constituant la richesse de notre pays, d'où l'appel à une écologie mesurée aux données d'un ensemble géographique et politique restreint (la France en l'occurrence), de préférence à des exigences dictées par des entités administratives supranationales soi disant au nom de la défense de la planète dans sa globalité (étant entendu que, si chaque pays avait assez de marge de manœuvre pour estimer quelles politiques environnementales doivent être menées à son échelle en fonction de ce qu'il connaît, la planète dans l'ensemble se porterait mieux). En bref : que la France s'occupe de l'environnement à sa propre échelle, selon les besoins de sa propre population.
Cette rationalité fondée sur la maîtrise d'un territoire donné nous rappelle que les écosystèmes naturels eux-mêmes se comportent localement, indépendamment de l'intervention humaine, même s'il existe également des écosystèmes globaux à l'échelle planétaire. Parmi les auteurs critiques envers le GIEC et le consensus écologiste mondial, on peut citer Bertrand Alliot, François Gervais, Christian Gérondeau, Marc Le Menn et Emmanuel Leroy Ladurie. Toujours est-il que, en accord avec le biomimétisme, le lien entre durabilité et souveraineté est nécessaire, car on ne peut agir sur un écosystème global que si notre propre environnement reste à portée de nos décisions. Rougeyron souhaiterait un débat contradictoire avec Serge Latouche autour de la question de la décroissance. Il est, pour le moins, plus sceptique envers les courants, y compris d'extrême droite, se réclamant de l'influence de Thomas Malthus (1766-1834) et de l'idée de dépopulation.
Il nous est rappelé que les politiques menées contre le parc nucléaire français ont pour origine le lobby éolien et solaire allemand via Bruxelles. En l'occurrence je suis d'accord avec Rougeyron sur la gestion, à échelle nationale, des ressources naturelles et plus généralement. C'est, entre autres, par une critique de la mafia que, dans une vidéo en date du 22 septembre 2012 (https://www.dailymotion.com/video/xtsu3c), j'en étais venu à me prononcer explicitement en faveur de la relocalisation économique (donc à un niveau plus vaste que celui des seules questions d'écologie). Le texte a, depuis, fait l'objet de plusieurs publications (ainsi que celui de mes autres vidéos). Cependant le principe de base est le même : que l'on prenne la question sous l'angle de l'environnement ou sous celui de la lutte contre le crime organisé, relocalisation équivaut à réappropriation. L'idée est toujours celle du droit d'agir sur sa proximité.
Je suis également d'accord avec Rougeyron sur son analyse de la Macronie et de ses remaniements, dont le dernier en date. Mais qui ne serait pas d'accord avec une telle analyse (face au constat d'un entourage d'obligés, "qui ne font pas d'ombre à l'ombre du patron") ? En face, on a une Marine Le Pen malheureusement muselée (mon diagnostic la concernant était déjà désillusionné avant, y compris en 2017 : https://vimeo.com/216895041). Aujourd'hui, face à la déferlante hystérique des minorités de mœurs et immigrationnistes, je suis prêt à soutenir le RN dans les urnes pour faire barrage à LFI ou à EELV, car l'état de délitement de la France est devenu tel que les partis gauchistes risquent d'arriver au pouvoir. Or, ma vision de la gauche et de l'extrême gauche s'inscrivait déjà, auparavant, dans une perspective critique de refonte des idées et des propositions, qui n'a rien à voir, en définitive, avec la réalité historique de la gauche et de l'extrême gauche telles qu'elles se sont faites, ne serait-ce que parce que j'ai toujours été : antimaçonnique, anti-minorités de mœurs, anti-immigrationniste et partisan de la peine de mort.
Se dire "pro" ou "anti" n'ayant d'intérêt que via les arguments qui, à l'appui d'un positionnement, ouvrent des perspectives par rapport à des objectifs que l'on souhaite atteindre, en l'occurrence politiquement, je fais une nouvelle parenthèse pour expliquer, conjointement, les quatre derniers points soulevés dans le paragraphe précédent. Qu'est-ce que la franc-maçonnerie, sinon l'une des manifestations les plus notables, en termes de réseaux relationnels, de l'idéologie humaniste et fraternelle ? Si l'on ne condamne pas cette dernière, on n'atteint pas la source du problème auquel sont confrontés les pays dans leur incapacité, à cause de la censure supra-étatique, à mener sur leur sol la politique souhaitée, car l'humanisme et la fraternité sont la cause philosophique profonde d'une vision politique centrée, non pas sur les nations, mais sur l'espèce humaine au nom d'une notion de bien commun (inclusive, immigrationniste et abolitionniste).
C'est, en ce sens, qu'il est intéressant d'expliquer pourquoi l'on est antimaçonnique, anti-minorité de moeurs, anti-immigrationniste et partisan de la peine de mort : en condamnant l'humanisme et la fraternité au nom d'une volonté politique de réappropriation locale, on condamne forcément la franc-maçonnerie, qui applique les idées humanistes et fraternelles, ainsi que ses conséquences politiques de plus en plus virulentes au fur et à mesure d'un pourrissement inhérent à cette même approche maçonnique (conséquences politiques illustrées par les revendications wokistes, qui sont à la fois inclusives, immigrationnistes et abolitionnistes). En bref, la question se pose, du monde dans lequel nous souhaitons vivre. Si ce monde souhaité n'est pas celui de l'ouverture pour l'ouverture, ni de la solidarité par principe, mais celui où nous aurions la possibilité de vivre pour nous-mêmes et pour nos proches, la famille politique adaptée doit être l'extrême droite.
C'est en cela que je m'inscris en faux par rapport aux aspects de la critique de Rougeyron qui, pour sa part, reste attaché aux figures de l'homme de la Renaissance, de l'homme des Lumières et de la république française dans son acception gaullienne et fédératrice. Sans être contre le progrès scientifique, pour ma part je ne le rattache pas à la Renaissance ni aux Lumières. Il est tout à fait possible de progresser dans nos connaissances et dans nos techniques avec une autre vision philosophique et politique. Quant au gaullisme, son rapport consubstantiel supposé à la notion d'avancée scientifique est encore moins évident que dans le cas de la Renaissance et des Lumières, lesquelles, même si elles peuvent faire l'objet de désaccords en termes d'état d'esprit, de finalité, ont entretenu un lien historique et factuel de premier plan avec les questions d'ordre épistémologique. Toujours est-il que, si l'on veut relocaliser, la radicalité s'impose à terme.
Nous sommes tous dans une impasse politique, du moins si l'on se base sur l'offre actuelle et les probabilités de faire avancer nos idées en termes de représentation dans le cadre électoral. La difficulté est telle que nous en venons à débattre sur le choix de l'impasse en question (avec, implicitement, l'idée de pouvoir transformer l'impasse en issue, aussi ténues soient les chances d'y arriver). De ce fait, impasse pour impasse, je préfère celle du RN à celle des souverainistes, car ces derniers, avec leur projet de Frexit, se condamnent à des alliances (encore une fois gaulliennes) avec des LFI, ce qui est une aberration. Je n'idéalise pas le RN, et mes critiques à son encontre restent entières, mais sa ligne est quand même moins incohérente que celle d'un François Asselineau qui, quoi que l'on en pense, a toujours tendance à mettre en avant le Frexit d'abord, les questions de politique intérieure ensuite. Le RN, au moins, présente une alternative (sortie ou réformisme).
Autre point de désaccord, contrairement à Rougeyron je ne mettrais plus l'écologie en avant dans un discours politique. Via la référence à l'extrême droite, l'objectif est de promouvoir un monde où, non seulement les individus peuvent vivre pour eux-mêmes et pour leurs proches (garantie offerte par la référence privilégiée au cadre national), mais aussi où l'attrait consumériste reste un argument majeur. Cela ne veut pas dire que l'écologie serait absente d'un tel monde, mais que la part d'écologie voulue serait simplement actée, sans en parler, comme conséquence indirecte d'autres choix politiques considérés comme majeurs : les entreprises françaises, l'emploi, les salaires. Comme il existe plusieurs approches de l'extrême droite, et que la mienne correspond à une vision hypertrophiée du reaganisme, ce que je souhaite pour la France, c'est en fait de sortir de la république pour transformer le pays en une sorte de marché-nation, centré sur ses intérêts.
Je referme cette parenthèse, non sans faire observer, en outre, que l'humanisme, la fraternité ainsi que la notion maçonnique de bien commun, de par la contrainte opérée au niveau du partage de l'information qu'ils s'efforcent de promouvoir à une échelle globale, et l'exhibitionnisme qu'ils entraînent ainsi dans les pratiques, phénomène confirmé et amplifié à l'heure d'Internet et des autres médias de masse (lesquels, bien qu'en recul, existent toujours), sont profondément attentatoires à toute forme de vie privée, raison pour laquelle l'idéologie de l'ouverture doit être condamnée, afin de permettre à chacun de préserver sa sphère propre. Cette aspiration démontre que nous, hétérosexuels, avons le sens de la pudeur et de la réserve, contrairement aux minorités de mœurs qui, du fait de leur besoin puéril de reconnaissance lié à leur manque de maturité, se livrent à un déballage public permanent. Cela étant dit, revenons-en à l'entretien.
Rougeyron pense que l'interdiction de l'abaya aurait dû faire l'objet d'une circulaire et non d'un débat, car ce dernier occulterait le vrai problème de l'école actuelle en France, qui est celui de la perte du sens. Sans contredire son analyse, je pense que l'abaya n'est pas un problème majeur dans notre pays et que son interdiction montre, en fait, l'absence de volonté politique de stopper l'immigration. En effet, dans un pays hostile aux politiques migratoires, la présence de minorités ethniques visibles (y compris par l'abaya) ne constituerait pas une menace pour l'identité nationale, car les minorités ethniques resteraient minoritaires du fait même de l'intransigeance du contrôle des frontières. Outre les vannes migratoires, le pourrissement de l'identité française aujourd'hui passe, bien davantage que par l'abaya, par la promotion républicaine des minorités de moeurs. Ce qu'il faut interdire, c'est le mariage pour tous, l'enseignement des théories du genre et l'éducation sexuelle à l'école. Mais comment la république humaniste et fraternelle interdirait-elle ses principaux centres d'intérêt ?
Je rejoins Rougeyron, par contre, sur la manière dont il présente la dissolution de Civitas, soit : une posture permettant à Gérald Darmanin de flatter les gauchistes en leur montrant qu'il a fait reculer, en France, ce que son public-cible considèrerait comme une résurgence du fascisme. Civitas est une des composantes de l'extrême droite française, catholique en l'occurrence. Il faut donc, ici, considérer ses membres comme des alliés potentiels, tout en refusant, comme le fait d'ailleurs Rougeyron, la position réductrice qui consisterait à présenter le nationalisme comme un projet judéophobe. Ce n'est pas au nom des bons sentiments qu'il convient de distinguer le nationalisme du racisme mais, encore une fois, pour se concentrer sur les clivages politiques en tant que tels, c'est-à-dire sur les actions que l'on souhaite mener. Il est, à ce titre, utile de rappeler que Civitas n'a jamais commis ni même promu d'action violente. C'est pourquoi, d'ailleurs, je désapprouve la dichotomie entre État de droit et État légal : il faut toujours mesurer la part qui revient à la présomption d'innocence.
Je comprends, en même temps, sous quel angle de l'actualité Rougeyron en vient à une telle dichotomie : la question des gangs et du narcotrafic venu d'Amérique latine, gagnant l'Europe via Rotterdam, et donc amenant aussi les dealers sévissant en France, issus de l'immigration maghrébine, à se radicaliser dans leurs méthodes. D'où ma proposition qui, au lieu de remettre en cause l'État de droit au nom de l'État légal (puisque les deux notions peuvent se recouper), consisterait à définir des terrains différents, et à légitimer une action violente de la police, sous forme d'exécutions sommaires, là où il est manifeste que les profils identifiés bafouent toute conception du droit. Autrement dit, il y aurait un permis de tuer, accordé aux forces de l'ordre, qui existe en partie déjà mais qui serait étendu à des zones et à des situations identifiées comme relevant du non-droit. Cela débriderait l'action policière sans remettre en cause l'État de droit.
D'ailleurs, n'est-ce pas en vertu de freins moraux humanistes que Rougeyron se prononce en faveur de l'emprisonnement en haute sécurité de certains criminels qui, au vu de leur propre détermination, ne méritent que d'être brisés ? Je veux dire : quitte à vouloir briser des narcotrafiquants endurcis, pourquoi ne pas autoriser la police à les abattre purement et simplement ? Pourquoi dépenser de l'argent dans des prisons où, même si ce sont "des écoles de gladiateurs", les criminels en question sont quand même logés et nourris ? C'est pourquoi, à mon sens, la partie la plus intéressante de l'analyse de Rougeyron qu'il consacre à l'actualité internationale n'est pas celle sur le trafic de drogue à échelle mondiale (car il en tire des conclusions réductrices en termes de droit, d'ordre légal, et, qui plus est, contreproductives au regard de ses propres objectifs), mais celle sur les BRICS et sur la dédollarisation. J'y consacrerai les derniers paragraphes de ce résumé.
Le terme BRICS (initialement BRIC) vient de la gestion de fonds, et d'un rapport sur les pays émergents. Il nomme donc une réalité préexistante à l'analyse de Goldman Sachs. Le groupe Brésil, Russie, Inde et Chine a été élargi à l'Afrique du Sud, pour autant il n'y aura pas de camp des BRICS, encore moins contre l'Occident. C'est juste la carte diplomatique hétérogène mise en avant par certains pays. La question de l'unité de compte pour les échanges internes aux BRICS s'ajoute à celle de l'éventuel élargissement du groupe, et concerne la dédollarisation. Les États-Unis ont commis l'erreur d'utiliser le levier de la monnaie-monde (voir, à ce sujet, les ouvrages de Norman Palma). Qui tient la monnaie-monde tient le droit mondial, ce qui a donné l'extraterritorialité du droit américain, mais c'est une malédiction économique, obligeant à un déficit structurel (car tout le monde a besoin de votre monnaie, donc votre monnaie quitte votre territoire).
De plus, il faut avoir un budget de la défense pléthorique pour contrer les pays qui veulent remettre en cause la monnaie-monde. En résumé, si vous êtes les États-Unis et que vous gardez votre monnaie-monde, vous êtes obligés de maintenir un impérialisme dont le prix est la destruction de l'économie intérieure américaine, à tel point que, à la fin, vous n'avez même plus la richesse intérieure nécessaire au maintien de la monnaie-monde. On le sait depuis les années 1960. Certains Américains ont toujours tenu ce raisonnement : les paléo-conservateurs, anciens proches de Richard Nixon (1913-1994) devenus proches de Pat Buchanan. Il a fallu attendre l'ère de Donald Trump pour que des officiels américains reprennent ce raisonnement à leur compte. Les trumpistes sont donc des gens sérieux. D'habitude, un Américain ne parle jamais en mal du dollar. Le problème est que la dédollarisation résulte du retrait des BRICS de ce marché.
La raison en est que les BRICS refusent l'ingérence américaine, ou la saisie de leurs avoirs (mode opératoire des pays européens par ailleurs, condamnant ainsi une monnaie qui n'a jamais été de réserve, les réserves de change des monnaies ayant constitué l'euro, une fois cumulées, étant supérieures aux réserves de change de l'euro tel qu'il est). Il faut garder en vue que les BRICS sont hétérogènes, et que c'est de loin la Chine qui y pèse le plus, d'une dominance au sein des BRICS équivalente à celle des États-Unis en Occident. Dans ce contexte, soit on opère l'unité de compte au sein des BRICS, soit on choisit l'intervention des monnaies nationales. Le but des BRICS est de faire passer le dollar de 70 % des transactions quotidiennes à 35 % mais pas moins, sinon la Chine devrait créer une chambre de compensation pour les pays, au sein des BRICS, moins sollicités que d'autres, et Pékin ne veut clairement pas se ruiner en ce sens.
Les BRICS, dans l'ensemble, n'ont pas intérêt à une chute brutale des États-Unis, car cela créerait une instabilité probablement ingérable à leur niveau. Par ailleurs, la Russie n'est pas le pays qui va libérer la France, en instaurant un nouvel ordre continental. D'un point de vue réaliste, la France pourrait envisager d'acquérir un statut de pays observateur au sein des BRICS, mais à condition de renoncer à des politiques de sanction (l'histoire ayant d'ailleurs montré que de telles politiques n'ont généralement pour effet que d'inciter les pays sanctionnés à se renforcer). Il faut retenir que les BRICS ouvrent des perspectives intéressantes, mais qu'ils ne sont pas une alliance à vocation offensive, pas plus que les pays européens dont la France. Il faut revenir aux trois règles de la diplomatie classique : démoralisation de la vie internationale, respect du droit international et respect du droit de chacun d'acquérir une puissance (quelle qu'en soit la définition).
Pour en revenir à la question de l'unité de compte des BRICS : comme il n'y aura pas de chambre de compensation, il reste d'un côté les partisans de l'unité de compte, et de l'autre côté l'Inde notamment qui préfère les monnaies nationales. Le seul point sur lequel les BRICS s'entendent, c'est qu'ils ne veulent pas être régis par l'Occident. Ils considèrent que leurs affaires ne regardent qu'eux, et qu'ils ne parleront entre eux sans intermédiaire que tant que les occidentaux les prendront de haut. Il est vrai que la Chine, par l'intermédiaire des Russes, a réussi à rapprocher l'Iran et l'Arabie Saoudite, et que les BRICS possèdent, en 2023, 51 % de la production du pétrole mondial. En maintenant des prix du pétrole élevés, ils nous rendent service. Quelqu'un qui menace nos approvisionnements nous oblige à nous moderniser, à nous passer des matières premières que nous n'avons pas et donc à motiver le génie de nos ingénieurs.