Le message initial d'un sujet de forum ne peut qu'aborder le monument heideggérien. Après avoir rappelé que Martin Heidegger (1889-1976) est considéré comme le plus grand philosophe du vingtième siècle, ce non seulement en Allemagne mais aussi au niveau mondial, j'ajoute que son engagement en faveur du nazisme ne sera pas critiqué ici, du moins pas dans les termes du politiquement correct au sens où l'entendent les partisans de la démocratie républicaine. Quand on adopte la perspective du nationalisme français, deux points principaux sont critiquables dans les politiques hitlériennes : la démesure d'Adolf Hitler (1889-1945), impliquant une défaillance sur le plan de la stratégie militaire et plus généralement ; la mythologie raciale et linguistique invoquée pour compenser certaines lacunes quant à la réalité historique du nationalisme allemand, et ce que ce racialisme particulier aurait suscité comme excès, comme tendances autodestructrices et, par conséquent, comme dérives. Pour autant, cette critique en soi n'interdit pas, quand on défend le nationalisme français comme d'autres et moi-même le faisons, sa mise en relation avec une autre critique sur deux plans différents et, potentiellement du moins, complémentaires : le plan critique historique et politique des populations allogènes, dans la lignée de Charles Maurras (1868-1952) ; plus en amont, le plan critique ethnique desdites populations allogènes, dans la lignée d'Édouard Drumont (1844-1917). J'invite à lire ces deux auteurs dans le texte, principalement pour trois raisons : par adhésion à la tradition politique de l'extrême droite française et de son nationalisme (si, comme d'autres et moi-même, les lecteurs concernés ont eux aussi cette adhésion), d'où notre volonté, dans le camp nationaliste français, de faire abolir les lois concernant le racisme, ce au nom d'une préférence nationale légitimement étendue à tous les niveaux, exigence compréhensible dans le cadre du projet de l'instauration ou de la restauration de la France en tant qu'État-nation ; par intérêt à dépasser les qualificatifs journalistiques habituels, qui évoquent un registre prétendument ordurier, généralement sans citer le texte ni même l'expliquer, donc sans permettre aux lecteurs de l'apprécier objectivement ; par curiosité, en vertu de quoi chacun peut se faire sa propre idée. En résumé, que les conséquences de l'hitlérisme apparaissent encore comme critiquables, même du point de vue du nationalisme français (et ceux qui connaissent assez bien le nationalisme français connaissent aussi l'ancienneté de notre critique au sujet des errances hitlériennes), ne rend pas, en soi, critiquable le fait qu'un philosophe comme Heidegger ait décidé de soutenir le projet nationaliste de son pays. Autrement dit, dans une perspective nationaliste comparatiste (entre la France et l'Allemagne), il n'y a pas, contrairement à ce qui se dit généralement chez les démocrates républicains, une grande philosophie heideggérienne et, par ailleurs, une erreur politique commise par Heidegger : il y a, dans notre perspective nationaliste, certes une grande philosophie heideggérienne, mais aussi un engagement politique, celui du philosophe, dont nous pouvons appréhender les motivations.

L'un des principaux points de désaccord entre le corpus philosophique d'Heidegger et le nationalisme français se situerait à un autre niveau : la question du catholicisme. J'y reviendrai plus loin. Pour l'instant, afin de dégrossir le sujet, je vais m'attacher à présenter quelques concepts-clés, à travers la vulgarisation, récente à l'heure de ces lignes, proposée par une chaîne en ligne comme celle du Précepteur. Ce point me permettra, notamment, de relier l'atemporalité du sujet à une relative actualité des ressources disponibles. Je résume donc la vidéo du Précepteur consacrée à la question fondamentale de l'Être chez Heidegger : avant ce dernier, en 2500 ans de philosophie, les philosophes avaient parlé de l'Être mais n'avaient jamais pris le temps de le définir, comme si c'était une évidence. Les monuments de la philosophie avaient été construits sur une évidence, et la question de l'Être a été recouverte sous diverses théories. Pourtant, l'étude philosophique de l'Être, ou ontologie, existait déjà du temps de Platon (-328--438) et d'Aristote (-384--322) ou, plus tard, de René Descartes (1596-1650). Cependant, Heidegger avait raison, car ses prédécesseurs, en fait, ne s'intéressaient pas à l'Être mais aux êtres. D'où une philosophie construite sur une confusion entre l'Être et l'étant. C'est comme si nous demandions à quelqu'un de nous expliquer la vie, et que ce quelqu'un revenait avec un animal pour nous le montrer : nous lui dirions que ce n'est pas la vie, mais un être vivant. Ainsi, pour Heidegger, de même que la vie ne se résume pas au vivant, de même l'Être ne se résume pas à l'étant. Dans la langue française, le verbe être est polysémique, pouvant traduire, par exemple, une nationalité, un sentiment ou une situation ponctuelle. Il existe, par conséquent, plusieurs manières d'être, plusieurs modes d'être. Or, les philosophes, avant Heidegger, avaient pris le terme dans le sens réducteur de la subsistance, qui renvoie à celui de l'existence, mais, chez Heidegger, la subsistance et l'existence correspondent à deux notions bien précises : subsister, c'est occuper un espace, une place dans le monde, le problème étant que l'humain ne se trouve pas dans le monde comme le rocher ou l'arbre se trouvent dans le jardin, car la manière d'être de l'humain n'est pas la même que celle d'un objet ou d'un étant naturel, raison pour laquelle, quand on parle d'une personne qui est morte, on dit qu'elle n'est plus. Avant de parler de l'humain, il faut considérer, avec Heidegger, deux types d'objets : l'objet indépendant et l'objet relationnel. C'est là qu'intervient la phénoménologie, qui nous amène à considérer les choses du point de vue de la relation que nous entretenons avec elles. En phénoménologie, on n'étudie pas la manière dont les choses sont, mais la manière dont les choses nous apparaissent, qui fait aussi partie de leur être. Avoir une approche phénoménologique, c'est parler de l'être-pour-nous d'un objet, ce qui est valable aussi pour les personnes et pour leur statut. Par exemple, un employé percevra toujours son employeur en tant que tel, et parlera de lui du point de vue de la relation de travail ainsi établie, même si une relation amicale peut éventuellement se développer aussi car, malgré cette dernière, un patron reste un patron aux yeux d'un salarié.

L'erreur fondamentale des philosophes, selon Heidegger, est d'avoir parlé des choses comme si elles étaient déconnectées de notre propre expérience. C'est pourquoi les prédécesseurs du philosophe allemand sont passés à côté de la question de l'Être. Aristote, par exemple, avait tenté de classer les êtres, en tant qu'ils relèvent de l'étant, selon dix catégories : la substance, la qualité, la quantité, la relation, le temps, le lieu, la situation, l'action, la passion et le savoir. Dans la perspective aristotélicienne, l'être de la chose correspond à la synthèse de ces dix catégories, et de tous les attributs qu'elles impliquent (matière dont l'objet est fait, par exemple un bureau en bois massif, degré d'usure, longueur, largeur, couleur, distance par rapport à la porte ou à la fenêtre dans la pièce où il se trouve, et ainsi de suite). En philosophie, la substance est ce qui reste une fois retirées les caractéristiques non essentielles : si j'ajoute une extension à mon bureau ou, au contraire, si je raccourcis son plateau, il reste quand même un bureau, et il en va de même si je le repeins. C'est ce que les philosophes appellent la variation eidétique. Dans le cas du bureau, si je retire son plateau, il cesse d'être un bureau. On a donc fonctionné, pendant des siècles, avec une conception de l'Être liée à la notion de subsistance, dans la mesure où l'analyse se voulait distante, neutre et objective. Pour Heidegger, l'inconvénient de cette approche est qu'elle ne permet pas de rendre compte de la relation que nous avons avec les choses dans notre vie quotidienne. Nous sommes toujours en interaction. De prime abord, en tout cas, nous envisageons les choses par rapport à nous, à ce que nous pourrions en faire ou à ce qu'elles représentent pour nous. L'être de l'étant se définit donc à travers la relation que nous avons avec cet étant. En général, tout ce qui relève de l'étant dans notre environnement familier a une utilité pour nous. L'être de l'outil n'est pas la subsistance, mais l'usage ainsi que la disponibilité. À ce stade du raisonnement, on peut dire qu'il y a principalement deux modes d'être : la subsistance et la disponibilité (ou l'être-à-portée-de-main), impliquant un réseau d'objets interconnectés plus ou moins important selon la complexité de l'usage. Autrement dit, contrairement aux simples objets qui subsistent, les outils ont une fonction pour nous. Il s'agit d'être attentif aux réseaux d'usages et de significations. Le salon de notre appartement ou de notre maison est, pour nous, un monde ambiant. En ce sens, chacun d'entre nous vit dans un monde différent. Le salon de quelqu'un à qui nous rendons visite n'a pas, en effet, la même familiarité pour nous que notre propre salon. Dans le salon d'autrui, les objets ne sont pas des outils pour nous, mais des choses subsistantes. D'où, par exemple, l'attitude plus concentrée ou plus contemplative à laquelle on peut reconnaître un touriste dans un lieu qu'il visite. En résumé, la philosophie avant Heidegger n'abordait les choses que selon un seul mode d'être (la subsistance) ; Heidegger, lui, envisage une approche phénoménologique de la question de l'Être (en partant, non pas de l'être objectif d'un étant, mais de son utilité pour nous) ; il en ressort que le premier mode d'être de l'étant n'est pas la subsistance, mais la disponibilité, la subsistance étant le second mode d'être de l'objet.

Précisons que la chose n'est pas condamnée à rester chose, que l'outil n'est pas condamné à rester outil. Le mode d'être de l'objet dépend de ce que nous en faisons, ou de ce que nous pouvons en faire. De prime abord, un rocher ou un arbre sont des choses pour nous, mais deviennent des outils si nous nous asseyons sur le rocher, ou si nous profitons de l'ombre de l'arbre. À l'inverse, si nous écrivons avec un stylo mais que l'encre s'épuise, le stylo, d'outil qu'il était, devient chose. L'être comme chose ou l'être comme outil ne résident pas dans l'objet, mais dans le rapport à l'objet. C'est moins une question de naturalité, ou d'artificialité, qu'une question d'ordre relationnel. De là, on en vient à la question centrale chez Heidegger : celle de l'être humain. On peut se demander, en effet, qui est ce "nous" capable de déterminer l'être des objets. L'être humain apparaissant comme un étant particulier, que veut dire pour nous "être humain" ? Pour Heidegger, l'être humain est un étant radicalement différent des autres, car un étant qui s'interroge sur l'Être. En clair, l'étant de l'être humain consiste à se poser la question de l'Être. Cela signifie que l'être humain est un être conscient, contrairement à l'objet inanimé (le rocher) ou à l'étant naturel (l'arbre). En étant conscient, l'être humain a la capacité de se questionner. Si ce questionnement fait partie de l'être humain, ce dernier ne se résume pas à une substantialité ni à une corporéité, ce que Descartes avait déjà dit, à une grande différence près, qui apparaît chez Heidegger : du fait de sa conscience, l'être humain n'a pas d'essence à la base, car sa conscience le rend indéfinissable. C'est ainsi qu'il faudra comprendre, plus tard, le fait que Jean-Paul Sartre (1905-1980), s'inspirant d'Heidegger, en vienne à penser que l'être humain, du fait de sa liberté, construit son essence à travers ses choix. L'être de l'être humain n'est pas figé dans sa conscience. Il convient alors de ne pas substantialiser la conscience. Cette dernière rend l'être humain capable de réinventer son essence. L'être humain, chez Heidegger, c'est l'arrachement permanent à soi, la sortie de soi, la projection. L'être humain est essentiellement projection. Il se projette dans le temps, d'où le titre du livre d'Heidegger : Être et temps. Il se projette aussi comme possibilité d'action, comme possibilité de réalisation et comme possibilité de disparition. L'être humain, c'est le pouvoir-être, c'est le possible, c'est l'engagement permanent dans un processus, tandis que la chose, elle, ne peut être autre chose que ce qu'elle est. Si l'être de la chose est la subsistance, l'être de l'être humain est l'existence. C'est pourquoi, comme dit plus haut, il n'est pas pertinent, en ce sens, d'identifier la subsistance à l'existence. Cette dernière est spécifiquement humaine, et c'est selon cette acception que l'on peut entendre le concept de Dasein. Exister, c'est être pour un être dont l'être est la possibilité. Notons, à ce propos, que la graphie "ek", en allemand, correspond à l'idée de sortie, d'arrachement. Exister, c'est s'arracher à l'Être. On se projette dans le futur, dans ce que l'on souhaite devenir, dans notre vie, dans notre carrière, dans ce qui deviendra notre vieillesse. Exister, c'est être par anticipation.

Du fait que nous ne sommes jamais en repos, Heidegger voit dans le souci une dimension fondamentale de notre être. Chez le philosophe allemand, le souci ne se définit pas tant par l'inquiétude que par notre esprit en permanence occupé. Le souci, c'est l'attention portée à ce qui est en jeu dans notre vie. Contrairement à nous, le bureau ne se soucie pas de ce qui est en jeu dans sa subsistance. Il ne se projette pas dans son avenir de bureau. Il ne se pose aucune question existentielle. Nous, si. La meilleure illustration du souci est le travail. Quand on travaille, on a en vue un résultat, et un résultat, c'est une projection temporelle. De ce point de vue, l'outil se définit comme le résultat du souci, l'outil étant l'instrument par lequel nous rejoignons un autre résultat, celui visé par le travail. On anticipe le formulaire rempli avec le stylo, ou l'étagère posée au mur avec la visseuse, ou encore la balle envoyée à l'adversaire avec la raquette. La projection fait de nous des êtres préoccupés, occupés mentalement avant d'être occupés physiquement. Sans cette préoccupation permanente, nous ne serions pas des êtres humains. Le monde ambiant étant celui des outils familiers, c'est le monde dans lequel nous sommes affairés. Le Dasein a toujours quelque chose à faire : soi-même. C'est ce qui fait dire à Heidegger que la première modalité d'être du Dasein est l'être-au-monde, ou le fait d'être d'emblée toujours en rapport avec le monde, comme l'outil est toujours en rapport avec d'autres outils même s'il l'ignore. L'être-au-monde se distingue de l'être-dans-le-monde, en ce que l'être humain est toujours en rapport. Or, s'il y a bien une chose avec laquelle l'être humain est constamment en rapport, de par la conscience qu'il en a, c'est la mort, absolument constitutive de son être. L'être humain est un être-pour-la-mort, un être en rapport avec sa propre mort. Mourir pour un être humain n'est pas la même expérience que pour un autre animal, car l'être humain sait qu'il va mourir. Un autre animal peut avoir conscience de la mort dans le sens où, face à un danger, il va fuir. Mais sa conscience est surtout façonnée par des sensations, alors que chez l'être humain il y a, en plus, un savoir. Chez l'être humain, pour garder le même exemple, la mort est plus qu'un accident, qu'un risque lié à un danger : c'est une destination finale, c'est l'inéluctable. La conscience de la mort, celle du Dasein, Heidegger en fait la structure primordiale de l'être humain. La conscience de la mort génère l'angoisse, c'est-à-dire la menace permanente qui sépare l'existence présente de la mort future. L'existence est en sursis. Être humain, c'est vivre en permanence sous une épée de Damoclès, c'est se demander, non pas si l'on va mourir, mais à quel endroit, à quel moment et pour quelle raison. Ne pas le savoir est tellement terrifiant que nous faisons comme les autres animaux quand ils sentent venir un accident : nous fuyons. Toute notre existence quotidienne n'est qu'une fuite individuelle et collective face à l'angoisse de la mort, que nous recouvrons avec des pensées pratiques, ou en l'universalisant (la mort arrivant à tout le monde). Dire "on" est une manière de ne pas dire "je". L'existence authentique n'est pas la fuite de la mort ni le déni, mais l'affrontement et la vérité, car la mort donne son sens à l'existence.

Pour avoir moi-même lu Être et temps dans sa traduction française, et pour faire suite à ce point de vulgarisation, je dirais que l'ontologie et la phénoménologie m'intéressent depuis longtemps, ce à travers la lecture et l'écriture, auxquelles j'ai toujours consacré une partie importante de mon temps libre depuis que je suis en âge de le faire, et mes premières tentatives en ce sens remontent même à l'enfance, même si l'abstraction, au sens où l'entendait Jean Piaget (1896-1980), ne commence en principe à se développer dans l'esprit qu'à partir de l'adolescence. Mais je me souviens que, étant enfant, je me posais déjà des questions du type : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?" Et, en fermant les yeux, j'essayais de m'imaginer à quoi pouvait ressembler un univers de néant, ce qui est une démarche paradoxale prouvant que, dans notre effort de représenter l'irreprésentable, nous avons besoin de transitions renvoyant, immanquablement, à l'ordre de l'apparence, de l'aspect, de la similitude, de l'analogie. C'est pourquoi je fermais les yeux car, d'une certaine façon, je me disais avec mes mots d'enfant que, de même qu'un mode aveugle était plus proche de l'image du néant qu'un mode voyant, de même notre vie intérieure se rapprochait de l'expérience du néant du fait même, également paradoxal, d'un regard introspectif sur notre être profond. Bien entendu, je ne l'exprimais pas de cette façon quand j'étais enfant, mais c'était l'idée. Cette dernière, en somme, revient à dire que l'expérience du néant relève d'un approfondissement de la question de l'être, ou encore que le néant se définirait, de ce fait même, comme la profondeur de l'être, au même titre que les abysses font la profondeur des océans. Les premiers textes de ma main imprégnés d'ontologie et de phénoménologie que j'ai conservés dans mes publications accessibles remontent à mes années de lycée, ce qui me renvoie trente-trois ans ou trente-quatre ans en arrière à l'heure de ces lignes. Ces textes ont été repris dans mon ouvrage 2.0, qui se présente comme une forme hybride entre le roman et l'essai. En voici un extrait, qui rejoint la vulgarisation que fait le Précepteur de sa lecture d'Heidegger : "Avec conviction, il décrit les qualités de cet objet. Pourtant il se trompe. Mais il aimerait avoir raison. Car de qui viennent ces qualités, sinon de lui qui les a énoncées ? S'il n'était pas là, cet objet n'aurait personne pour lui dire à quoi il ressemble, personne même pour lui dire qu'il est là, qu'il existe. Et, justement, il n'existe que quand quelqu'un est là pour le lui dire. Autrement son existence n'aurait pas de sens, et sans sens il n'existerait pas. Le sens n'est pas propre à l'objet. On vient le lui donner". Bien entendu, Heidegger aurait séparé plus nettement encore deux terminologies : celle de la subsistance et celle de l'existence. Cependant les problématiques partagent le même terrain conceptuel. On aurait pu s'attendre, alors, à ce que je fasse carrière dans l'enseignement académique, mais j'étais amené à développer un profil commercial, lequel correspond aussi à des aspirations que je situe au niveau de mon enfance. Bien qu'issu d'un environnement modeste, j'ai été marqué par l'ambiance des années Ronald Reagan (1911-2004), et c'est par le biais du management que je suis arrivé, progressivement, à créer un lien de plus en plus étroit entre culture business et philosophie.

C'est, d'ailleurs, à la fois par la culture business, par une réflexion philosophique et par mes activités de consultant en management (faisant le lien, donc, entre les deux domaines précédents) que j'ai également intégré, depuis le début des années 2020, les métiers de la sécurité dans mon cursus professionnel, en plus de mes responsabilités dans la gestion immobilière, d'une part, et dans le conseil en marketing, d'autre part. Avant de démarrer dans l'immobilier au début des années 2000, mes toutes premières expériences commerciales, au début des années 1990, concernaient la vente d'alarmes et de matériel de sécurité. Par ailleurs, un agent de sécurité, à plus forte raison quand il évolue dans un environnement commercial (comme une grande surface), doit avoir conscience de représenter une marque (celle de l'entreprise de sécurité qui l'emploie) sur un marché donné (celui des acteurs de la sécurité privée). Le fait d'avoir un profil commercial accompli (dans la stratégie, en amont, comme dans la négociation de terrain, en aval) permet de cultiver une conscience professionnelle, et donc un professionnalisme nécessaire quand on devient, en plus, agent de sécurité. Les formateurs en sécurité eux-mêmes se sont aperçu que les anciens militaires, les anciens policiers, les anciens pompiers ou les anciens aides-soignants ne font pas nécessairement les meilleurs agents de sécurité, car c'est la capacité, chez certains candidats, d'aborder les compétences de façon transversale qui détermine la réussite de leur conversion d'un métier à l'autre, plus que la ressemblance évidente entre le métier d'origine et le métier de destination, d'où ce constat qui s'est imposé : force est de reconnaître que les profils commerciaux sont de plus en plus recherchés en sécurité, non seulement de par notre habitude de la relation client, mais aussi et surtout de par le professionnalisme du savoir-être propre aux marketeurs et aux commerciaux accomplis, particulièrement exigeants sur les questions d'image, de maîtrise gestuelle et langagière (et donc de sérieux, de rigueur, de civisme et de politesse). Étant concerné au premier plan, je suis bien placé pour en témoigner par l'exemple à titre personnel : en tant qu'agent de sécurité, je suis toujours vendeur car je représente un type de business (telle ou telle entreprise de sécurité qui m'emploie) vis-à-vis d'un autre type de business (telle ou telle grande surface de distribution, entreprise cliente auprès de laquelle j'interviens en tant que prestataire). Sur un mode hypothétique, on peut dire que les éventuels désaccords professionnels pouvant survenir, dans ces conditions, n'auraient qu'une seule explication : un défaut de professionnalisme chez les autres parties concernées, en aucun cas chez l'agent qui met toujours un point d'honneur personnel à suivre un ordre parfait de conformité procédurale. À l'inverse, quand la collaboration se confirme, elle s'explique, logiquement, par un degré de professionnalisme élevé suffisamment partagé par toutes les parties en présence. En ce sens, il n'est jamais question d'adaptation aux défaillances des autres. L'adaptation ne se fait légitimement que par rapport à un état de dignité acceptable selon des critères légaux et contractuels. La relation managériale à l'ontologie et à la phénoménologie se comprend ainsi, pour en revenir à Heidegger, non pas comme une aptitude à se remettre en question proprement humaine (contrairement à ce que laisserait penser, de prime abord, l'école des relations humaines), mais à une aptitude à se remettre en question dans le sens d'une amélioration de ce qui doit être amélioré, tout en continuant à respecter des principes de référence, aptitude apparaissant de ce fait comme, vis-à-vis de l'humain, relevant d'une prise de distance salutaire.

D'où cette autre idée : l'écueil principal de la pensée heideggérienne n'est pas le nazisme, mais l'humanisme. C'est ce qui explique, indirectement, le fait que Sartre en soit venu à écrire : L'existentialisme est un humanisme. Pourquoi ? Parce que la faille majeure de l'ontologie heideggérienne consiste à avoir centré son propos sur l'humain. Telles sont les fondations qui, pour critiques qu'elles soient de la modernité, servent d'argument, peut-être malgré elles, à la tentation qui existe encore aujourd'hui, chez certains managers, de dire aux membres de leur équipe : "Vous arrivez à vous remettre en question parce que vous êtes humains". Au fond, c'est le contraire : c'est du fait de notre inhumanité, voire de notre déshumanité (car de notre regard critique sur notre propre part d'humanité comme sur celle des autres), que nous arrivons à nous remettre en question dans un sens précis, celui, encore une fois, de l'amélioration de ce qui est améliorable à l'aune des objectifs entrepreneuriaux, tout en maintenant le respect des principes qui fondent la légitimité (en termes d'identité, d'intégrité, d'estime de soi) de notre pensée, de notre discours et de notre action ainsi que, partant de là, de notre relation au monde du travail. Cette critique de l'humain, via la conscience professionnelle, s'appuie sur les mêmes bases que (une fois ramenée, en amont, à l'épistémologie, à la théologie, à la politique et à l'histoire) la rupture actée entre, d'une part, la tradition catholique canonique et, d'autre part, Pic de la Mirandole (1463-1494) et les autres grandes figures humanistes occidentales qui lui ont succédé. Philosophiquement parlant pour le moins, c'est la première piste à envisager, à ce stade du raisonnement, si l'on veut comprendre ce qui sépare Heidegger et le catholicisme. Inversement, si l'on veut comprendre ce qui les rapproche, il faut lire et relire le corpus du philosophe allemand dans sa part qui, s'agissant de l'Être, ne réduit pas ce dernier à l'humain (étant entendu que, dans l'expression "être humain", il y a deux mots, et que c'est le premier des deux qui nous intéresse le plus). Un autre ordre de complexité à intégrer est le fait que, même si le catholicisme traditionnel et canonique défend une critique fondée de l'humanisme (fondée car participant d'une ontologie non réductrice en l'occurrence), c'est ce même catholicisme qui, bien avant John Locke (1632-1704), a élaboré la notion de droit individuel en partant de l'expérience christique, droit individuel improprement identifié, via les Lumières, à ce qui allait devenir le droit-de-l'hommisme. Ce rappel n'a qu'une conclusion ici : il faut différencier notre part d'individualité, d'un côté, notre part d'humanité, d'un autre côté. L'humain est fondamentalement une donnée biologique, celle de l'appartenance à une espèce vivante, aussi évoluée soit-elle. Pour autant, ce qui fait de nous des individus, psychologiquement parlant, ne se réduit pas à ce qui fait de nous des humains, biologiquement parlant. C'est pourquoi il est intéressant d'envisager sérieusement l'inhumanité, voire la déshumanité et même la déshumanisation, comme autant de leviers exploitables dans l'élaboration de notre conscience individuelle selon les situations (y compris les situations de travail). Comment l'aborder dans une perspective catholique ? En considérant qu'il y a, dans l'exemple du Christ, une dimension qui ne réduit pas l'individu à l'humain, libérant la question de l'Être jusque dans ses implications quotidiennes, à travers le lien entre un ordre cosmique et la justesse de l'action.

C'est d'autant plus vrai que, par ailleurs, nous pouvons avoir tendance à sous-estimer la complexité de la nature qui nous a faits, eu égard à notre biocentrisme (terme par lequel je requalifie l'anthropocentrisme en insistant sur la notion d'appartenance à l'espèce). Comment, en effet, pourrions-nous avoir une quelconque certitude quant à la conscience de la mort perçue en tant que spécificité humaine, sinon en axant le propos sur notre conscience propre ? Certes, on a pu établir scientifiquement que le cerveau humain était plus complexe que celui des autres espèces, et nombre de nos réalisations techniques et technologiques, en plus de nos aptitudes philosophiques et des œuvres de l'esprit qui constituent nos patrimoines, vont dans ce sens. Nos civilisations sont, selon toute évidence, plus élaborées que ce qui découle de l'aptitude des autres espèces à transformer leur environnement. Pourtant, dès que se pose la question de l'intelligence, en tant que faculté d'adaptation, le débat reste ouvert, ne serait-ce qu'en raison de la difficulté à déterminer ce qui apparaît comme préférable dans l'absolu : être capable de transformer l'environnement pour l'adapter à des besoins donnés, ou au contraire parvenir à s'adapter à l'environnement tel quel ? Nos chances de longévité, en tant qu'humains, sont plus grandes dans un cadre urbain que dans le retour à la vie sauvage, ce qui signifie que le passage du statut de prédateur à celui de proie peut encore, pour chacun d'entre nous, s'opérer de manière relativement rapide. Ceux qui participent à des stages de survie sont bien placés pour en témoigner. De plus, nous ne sommes pas arrivés à une compréhension totale des autres espèces vivantes, non seulement à cause du caractère forcément limité de nos connaissances (limité à la fois par un historique toujours en évolution, d'une part, et par nos schémas de perception, d'autre part), mais aussi parce qu'une compréhension totale impliquerait une identification totale. Le savoir étant tributaire de notre langage, la connaissance, elle, implique en effet une expérience directe. Or, il ne saurait y avoir d'expérience directe totale sans incarner nous-mêmes ce que nous étudions. Plus simplement dit encore, nous ne sommes pas dans la tête des autres animaux, et nous sommes encore moins impliqués dans la complexité des écosystèmes végétaux. Notre science peut être magnifique, remarquable, mais elle est toujours lacunaire. Dans le cas contraire, il n'y aurait plus de recherche, ni de progrès possible. Nos lacunes sont donc la condition sine qua non de la continuation des savoirs humains, ce qui s'applique aussi bien à la philosophie qu'aux sciences.

C'est pourquoi il semble pertinent d'émettre des doutes quant à la conscience de la mort comme spécificité humaine, car la définition même de la conscience demeure problématique. Où sont ses limites ? Comment pourrions-nous être sûrs, sans être à la place des autres espèces, que certains traits de conscience sont l'apanage de l'être humain ? Nous ne sommes en mesure d'avoir aucune certitude définitive à ce sujet. De ce point de vue, et puisque c'est la question de l'Être qui nous intéresse en ontologie, davantage que celle de l'être humain, pourquoi ne pas envisager des tendances moins réductrices ? C'est ce que fait d'ailleurs Heidegger dans les moments où il prend le plus de distance par rapport à la problématique humaine, par exemple quand il définit l'Être par la relation au temps. Comment prétendre que cette dernière ne concerne que notre espèce ? Toute la nature est affectée par le temps, même la nature inerte. Quant à la mort et à sa conscience, l'incertitude inhérente à l'image que nous avons de la nature même de la mort comporte toujours une dimension énigmatique, laquelle nous empêche, en quelque sorte, d'appréhender pleinement la relation entre la nature en général et la mort, puisque la mort humaine est déjà mystérieuse pour nous. D'où la proposition suivante : plutôt que de définir l'être humain par la conscience de la mort, il y aurait une plausibilité plus grande dans une définition de l'être tournée vers le rapport au néant (sans pour autant paraphraser la terminologie sartrienne, dont on connaît les écueils humanistes), plausibilité plus grande car ontologiquement plus complète que l'identification d'une spécificité humaine qui n'apparaît comme telle qu'en vertu, sans doute, des biais de la pensée heideggérienne. Pour reprendre ce qui a été dit plus haut, quand nous fermons les yeux pour nous concentrer sur notre vie intérieure et, parfois, pour imaginer ce faisant la réalité du néant, nous sommes attirés par les profondeurs insondables de l'être, ainsi que par l'obscurité rétrospective de notre solitude fondamentale. De par son caractère à la fois intense et récurrent, cette attirance se présente comme une fascination. À ce titre, on peut définir l'être à travers une tendance à la fascination pour le néant originel supposé. À l'inverse, on peut ajouter que la fuite vers l'avant et la conscience de la mort ne sont pas spécialement humaines, mais qu'elles relèvent aussi de tendances naturelles plus générales, et plus ou moins marquées selon la complexité des cerveaux ou des écosystèmes, si l'on admet que la difficulté, encore une fois, de définir les limites de l'information entraîne, de facto, une interrogation quant à la part qui revient légitimement à l'humanité concernant la conscience. Les réseaux de communication du vivant, y compris le règne végétal, n'ont-ils pas la complexité d'un langage et donc d'un savoir ? Cela n'enlève rien, du reste, aux avantages que nous pouvons obtenir de notre prédation (en termes, notamment, de nourriture et de confort). La reconnaissance d'une grandeur naturelle qui dépasse l'humain ne nous condamne pas aux truismes de l'écologie punitive que les pions gauchistes décérébrés de l'idéologie woke cherchent à nous coller dessus (de type : "Protégeons le vivant" et autres).

Afin d'illustrer l'idée de fascination pour le néant comme élément essentiel de la définition de l'être, je citerais les problèmes que pose, en mathématique, la division par zéro. Bien que n'étant pas mathématicien de formation, j'ai un intérêt pour le chiffre zéro qui remonte à mon enfance, à la même période que mes questionnements sur le pourquoi de l'être au détriment du néant, une notion expliquant certainement l'autre. Outre la vénalité sous-jacente (dans la mesure où ajouter un zéro à un nombre, c'est devenir plus riche), il y a également, dans notre esprit, une ressemblance entre le zéro et le néant. Quand on reprend les opérations de base, ajouter zéro à un nombre n a pour résultat n, car une quantité nulle ajoutée à une quantité quelconque équivaut à cette dernière. La soustraction étant l'inverse de l'addition, la même logique s'applique. Concernant la multiplication, en tant qu'exponentiation de l'addition, multiplier n par zéro revient à annuler l'opération par l'annulation de la quantité donnée. C'est là que le problème se complique : la division étant l'inverse de la multiplication, diviser par zéro revient à inverser l'annulation d'une opération. Or, de prime abord, les termes : "Inverser l'annulation d'une opération" n'ont aucun sens. Ou alors on peut envisager une alternative : soit on en reste à l'idée selon laquelle ces termes ne veulent rien dire, soit on propose une théorie pour tenter de leur donner un sens. Dans la mesure où il s'agit d'un problème mathématique, il faut considérer, comme dans tout problème de cet ordre, que les éléments pertinents de résolution sont compris dans l'énoncé du problème lui-même. Or, quel est l'élément-clé du problème ici ? Le chiffre zéro. Puisque le problème est de donner un sens à l'inversion de l'annulation d'une opération, il faut donc se demander quel est l'inverse de zéro, en proposant la théorie de l'inverse de zéro comme résultat de la division de n par zéro. L'inverse de zéro étant l'infini, l'infini est, dans cette optique, le résultat de toute division par zéro, car personne n'a jamais fini de multiplier zéro pour obtenir un nombre quelconque (puisque vous essayez avec un, et que cela ne fonctionne pas, puis avec deux, et ainsi de suite). Le point d'interrogation tient, à la base, au fait que zéro n'est pas un nombre, mais un simple chiffre qui sert, entre autres, à exprimer une quantité nulle (ou à marquer le passage des unités aux dizaines, des dizaines aux centaines, etc.). C'est d'ailleurs le point commun entre zéro et l'infini : le fait de ne pas être un nombre, le premier se situant en deçà des nombres, et le deuxième au-delà des nombres. Louis Couturat (1868-1914) parlait d'infini non marqué comme résultat de l'opération, car il n'importe pas, en l'occurrence, que ce soit un infini négatif (inférieur à zéro) ou un infini positif (supérieur à zéro), les conséquences étant censées être les mêmes dans un cas comme dans l'autre. Néanmoins, et c'est ce qui nous intéresse davantage sur le plan ontologique, le fait que le passage à l'exponentiation crée, au stade de la division, une dissymétrie de nature à casser l'ordre logique habituel des opérations suscite un inconfort altérant la notion de résolution du problème par l'infini. Cet inconfort, en effet, nous renvoie conjointement à la finitude de notre esprit et à une double difficulté : celle de concevoir le néant comme l'infini, avec, partant de là, une proximité paradoxale entre le néant et l'infini correspondant aux profondeurs insondables de l'être et à la fascination que ces dernières nous inspirent. Au-delà de l'humain, cette relation s'inscrit dans la réalité de l'Être.

Il y a plus discutable encore que ces préalables. Si, d'un côté, la pensée heideggérienne entend s'attacher à des spécificités humaines mais que, d'un autre côté, l'humain n'a pas d'essence propre et se façonne par l'existence (aboutissant, dans la postérité, au concept sartrien d'une existence précédant l'essence), le bilan qui s'impose est celui d'un déni philosophique, d'ailleurs confirmé par les prédéterminés scientifiques, notamment génétiques, et de notre intérêt, comme dit plus haut, à nous déshumaniser pour nous reconnecter à notre essence individuelle. Dans la pratique, on se rend compte ainsi que l'élaboration de notre être via l'existence et la maturité n'empêche pas, à la base, la présence précoce de traits essentiels. Par exemple, je sais depuis mon enfance que je suis hétérosexuel. Même avant la puberté, j'étais déjà attiré par les femmes et seulement par les femmes. Je sais aussi, avec certitude, qu'il en sera toujours ainsi, parce que c'est plus qu'une conviction intime : c'est ce que l'on pourrait nommer un fait de personnalité, d'un constat implacable, au même titre que l'adéquation, à la fois biologique et psychologique, entre ma mentalité virile et le fait que je suis un homme, soit un esprit d'homme dans un corps d'homme, attiré par les femmes qui ont un esprit de femme dans un corps de femme (la différence entre l'homme et la femme sur le plan de la relation à la pensée étant le fait, pour nous les hommes, de privilégier en principe l'intelligence rationnelle, tandis que les femmes ont tendance à préférer l'intelligence émotionnelle, bien que les deux intelligences existent chez les hommes comme chez les femmes à différents degrés, et que ces deux intelligences soient susceptibles de s'équilibrer plus ou moins chez les hommes comme chez les femmes). C'est pourquoi je tiens à revendiquer le fait que je suis un homme, non pas au sens humaniste du terme, mais au sens masculin du terme (et, en l'occurrence, hétérosexuel), raison pour laquelle une expression telle que : "Il ne faut jamais dire jamais" est, forcément, à relativiser (l'impératif de relativisation étant compris dans les termes mêmes du paradoxe que constitue une telle expression, "Il ne faut jamais dire jamais" revenant à dire : "Parfois, on peut dire jamais"). On voit tout de suite les limites de l'existentialisme à travers les effets, à terme, de l'artificialité des comportements qu'il autorise en théorie et, à travers sa compatibilité avec le nazisme, la différence de nature entre le nationalisme français et le nationalisme allemand, lequel, bien qu'hostile à la Révolution dite française, véhicule lui aussi l'idée d'un homme-valise, d'un homme-récipient que l'on peut remplir et modeler par la politique pour en faire un homme nouveau, conception anti-essentialiste de l'individu qui sera, au comble de l'ironie, reprise par le cosmopolitisme et par le mouvement des minorités de mœurs, depuis la déconstruction postmoderne de Jacques Derrida (1930-2004) jusqu'au militantisme incantatoire et anti-intellectuel de George Soros. L'inclusion et la tolérance ne contribuent pas seulement à une idéologie de la bêtise, en ce qu'elles font passer les revendications avant toute réflexion car, via leur mécanisation et leur automatisation de la revendication, l'inclusion et la tolérance utilisent aussi les pires travers existentialistes des mécanismes politiques fascisants, autour de la croyance erronée dans l'homme nouveau.

Bien entendu, tout en gardant certains traits de personnalité constants concernant des aspects particulièrement importants de notre vie, nous évoluons aussi sur d'autres plans. Par exemple, même si j'ai toujours été conservateur sur le plan des mœurs, je n'ai pas toujours revendiqué ouvertement une appartenance à l'extrême droite. Le fait d'avoir franchi cette limite implique forcément certaines évolutions, en plus d'un parcours cohérent et de grandes idées qui demeurent d'une période à l'autre de ma vie. Toujours pour donner un exemple, avant de rejoindre ouvertement l'extrême droite et le nationalisme français, j'étais pour interdire, entre autres, la franc-maçonnerie et l'Opus Dei, au nom de l'interdiction des réseaux d'influence d'une manière générale, et de la volonté de combattre leur impact néfaste sur la civilisation ainsi que, notamment, sur le monde du travail. À présent que je milite pour l'extrême droite et pour le nationalisme français, je suis toujours, évidemment, pour l'interdiction de la franc-maçonnerie, qui n'est qu'une vulgaire idolâtrie humaine ; en revanche, concernant l'Opus Dei, je suis amené à reconsidérer ma position, car cette organisation, eu égard au contexte catholique où elle officie, possède une légitimité historique française que la franc-maçonnerie n'a pas, n'a jamais eu et n'aura jamais. Ce qui relève de l'anti-France ne saurait avoir de légitimité française. Par contre, ce qui relève du catholicisme canonique et traditionnel participe des fondations civilisationnelles de notre pays, et mérite de ce fait une prise en considération. Autre exemple : avant, je me disais antiraciste au nom de l'individualisme (l'individu n'étant pas, en principe, réductible au peuple auquel il est censé appartenir) ; maintenant, je me dis réservé sur les questions raciales (puisqu'il existe une forme d'individualisme compatible avec l'extrême droite et le nationalisme français, à la condition d'une instauration ou d'une restauration de l'État-nation préservant les identités locales et devant autoriser, de ce point de vue, une remise en cause des lois contre le racisme, ce en faveur d'une critique politique, historique et même ethnique des populations allogènes reconnues comme quantitativement et qualitativement minoritaires, selon les termes de ce qui devrait devenir une constitution de préférence nationale en cas de revirement historique en faveur de l'extrême droite en France). D'où mon serment, sur la tombe d'Édouard Drumont le 7 janvier 2024, de servir toute ma vie la cause du nationalisme français. Comme pour l'hétérosexualité qui me caractérise, je n'ai fait un tel serment qu'avec la conviction intime, et au-delà même de cette conviction, que je tiendrai parole, tout simplement parce que c'est naturel pour moi, de la même façon qu'il m'est naturel d'estimer, en accord avec ma famille de pensée, que les personnes qui développent des tendances minoritaires du point de vue des mœurs ne peuvent être considérées, selon la grille de lecture à laquelle je souscris, comme des personnes saines d'esprit (considération qui, je le rappelle, était de référence légale avant que les mouvements revendicatifs minoritaires n'arrivent, malheureusement, à s'imposer politiquement).

Il ne suffit pas de l'affirmer, car il faut définir les termes pour rendre le raisonnement plus compréhensible. Qu'est-ce, en effet, que la santé de l'esprit ? C'est un état psychologique relevant de la propriété, au sens de ce qui nous est propre : une fois épuisées toutes les définitions culturelles et collectives de la santé mentale, il ne reste que ce qui revient à l'individu et dont ce dernier doit, en vertu même du principe de propriété, porter seul la responsabilité. Or, quand des tendances qui, sur le plan des mœurs, affirment une spécificité telle qu'elles en viennent à représenter un écart par rapport à l'équilibre naturel et civilisationnel expliquant, via le processus de la génération, la visibilité légitime de l'hétérosexualité comme modèle solide pour la pérennisation collective, quand de telles tendances contraires à l'hétérosexualité, donc, sont portées collectivement, on assiste à une dénaturation du fait intime des personnes concernées, via le déplacement du domaine de l'intime dans celui de l'exhibition publicitaire, trahissant le fait que ces personnes sont incapables de porter, à leur niveau, le poids de leur singularité, singularité qu'elles déchargent alors sur le reste de la population en essayant, ce faisant, de brider la majorité silencieuse, de telle sorte qu'elles s'efforcent de faire valoir ce qui s'apparente à un pouvoir de nuisance. Ayant défini la santé mentale comme l'adéquation entre ce qui est propre au sujet et la capacité, chez ce dernier, de se comporter en adulte en prenant individuellement la responsabilité de cette propriété, le déplacement de l'intime dans le champ de la distorsion politique peut être, raisonnablement, considéré comme le symptôme d'une forme de maladie de l'esprit, dont la principale caractéristique serait, pour le moins, une puérilité tardive (les enfants s'exhibant parce qu'ils n'ont pas appris à garder leur intimité pour eux). C'est pourquoi, d'ailleurs, les libertins, bien qu'hétérosexuels, sont assimilables eux aussi aux minorités de mœurs, car il y a dans leur impudeur une dimension qui n'est pas saine, exactement de la même manière que quelqu'un qui prétendrait à la propriété privée dans un espace public. Les minorités de mœurs et les libertins, du fait d'un déséquilibre intérieur, d'une défaillance structurelle de la personnalité de leurs représentants, se comportent dans le champ médiatique comme des squatteurs, comme des zadistes sur un terrain qui ne leur appartient pas. Voilà l'explication de la présence de ces personnes dans toutes les familles politiques, y compris à l'extrême droite où elles n'ont strictement rien à faire, car elles y vont, non par conviction (leur nature étant de toute façon incompatible avec les idées portées par le nationalisme), mais par volonté d'occuper les lieux et d'empoisonner la culture ambiante. D'où leur entente avec les francs-maçons, lesquels n'ont, eux non plus, rien à faire à l'extrême droite. L'heideggérisme étant, non pas une psychopathologie, mais une ontologie, on peut s'appuyer sur une partie de son développement pour montrer en quoi le phénomène du wokisme et des minorités défendues relève d'un déni de l'être, l'effacement destructeur des limites entre l'espace public et l'espace privé (le premier cannibalisant le deuxième avec la complicité criminelle desdites minorités) permettant au cosmopolitisme de dissoudre les identités, toutefois il faut compléter cette critique par la présente réflexion psychologique et juridique.

Ces exemples montrent qu'il existe des constantes (comme, par exemple, mon hétérosexualité ainsi que mon conservatisme) et des évolutions (comme, par exemple, le fait d'avoir complété mon conservatisme par mon engagement en faveur de la cause nationaliste). Cette démonstration prouve que l'existence, in fine, ne précède pas l'essence, mais que l'essence et l'existence apparaissent en même temps, et sur ce point au moins je pense rejoindre d'autres commentateurs qui en étaient arrivés, eux aussi, à la même conclusion. Nous ne sommes pas, à notre naissance, des contenants vides que nous remplissons au gré de nos choix. Nous sommes, à notre naissance et même avant, des êtres dotés d'une essence propre, laquelle en vient à être complétée, sur le plan existentiel, par une complexité d'éléments factoriels (nos choix, certes, ainsi que le cadre géographique où nous évoluons et qui évolue lui aussi, le contexte politique et économique dont nous mesurons l'impact sur notre existence, nos éventuelles croyances religieuses, notre vie familiale, notre éducation, nos relations avec autrui à un niveau plus général, notre expérience professionnelle, nos obligations, nos voyages, nos loisirs, les circonstances imprévues que nous apprenons à gérer, nos accidents, nos maladies, notre résilience). Certes, l'être s'affermit avec la maturité, ce qui veut dire qu'il y a quand même une essence qui précède, logiquement, sa propre maturité en prise avec l'existence. La contrariété des choix, qui se mesure à des séries d'événements que nous ne souhaitons pas nécessairement, doit être vue comme une victoire pour le camp de ceux qui, comme d'autres et moi-même, défendons la part de légitimité d'une analyse en partie essentialiste de l'individu, avec aussi des aspects évolutifs. Car cette contrariété même va dans le sens de l'aspérité, du caractère ainsi que de la noirceur qui traduisent notre relation à l'existence, et dont l'engagement politique à l'extrême droite, chez certains d'entre nous, correspond à une adhésion exprimée de façon entière, avec la conscience justement adulte de la part de souffrance inhérente à notre situation. Sur ce plan, la réflexion rejoint l'importance de l'idée d'angoisse et de la conscience mortelle chez Heidegger. Néanmoins, en tant que défenseur d'un retour en force du catholicisme conservateur en France et plus généralement (revirement conservateur de l'Église que j'attends pour me convertir moi-même au catholicisme), je trouve que le philosophe allemand n'a pas opéré le choix le plus judicieux en s'écartant de la culture catholique comme il l'a fait. Je m'explique : puisque nous sommes en prise avec l'angoisse et la conscience de la mort, il me semble que l'idée du péché originel, centrale dans la doctrine catholique, se prête aux zones d'ombre et de tourmente de notre esprit et de notre condition. En effet, nous sommes angoissés non seulement à cause de notre conscience de la mort, mais aussi parce que nous sommes mauvais et que, même si le mal en soi n'a pas d'essence propre (contrairement au bien), le mal qui nous définit nous donne mauvaise conscience et, de ce fait, nous angoisse, nous place dans un état d'appréhension si profond que nous peinons à en identifier l'objet (si ce n'est, précisément, l'horizon de notre propre mort). À cette condition nous pouvons amorcer une lecture ou une relecture du corpus heideggérien via le prisme du nationalisme français, et montrer en quoi, sur ces bases, les accents réalistes d'une pensée d'extrême droite concernent, potentiellement, un électorat nombreux.